Sibyl : Deconstructing Virginie

Après Yann Gonzalez, l’année dernière avec Un Couteau dans le Cœur, voilà une autre cinéaste — génération Cinématraque — qui est sélectionné en compétition. Si nous avons toujours soutenu le cinéma de Gonzalez, nos rapports avec celui de Justine Triet furent plus orageux au départ. On ne reniera pas nos propos sur La Bataille de Solférino, mais depuis Victoria on constate l’évolution de l’artiste, qui s’est peu à peu éloigné de l’influence un peu forcée de Maurice Pialat. Avec Sibyl, Justine Triet continue à inscrire sa démarche dans un cinéma populaire construit autour de la figure de l’actrice Virginie Efira. Cette dernière devenue une des actrices les plus respectées, tout autant par le public que par la critique, pour la qualité de son travail est connue pour son passé de présentatrice vedette. Mais elle est surtout devenue une comédienne trouvant refuge autant dans la comédie populaire (Le Grand Bain de Gilles Lellouche) que dans des films associés à la notion d’auteurs (Caprice, d’Emmanuel Mouret) que chez les maîtres du cinéma (Elle de Paul Verhoeven ou prochainement Benedetta du même cinéaste). Elle y incarne des corps agiles, organiques aussi bien que cérébraux qui passionnent Triet, car Efira est une émanation physique du cheminement artistique de la cinéaste. Triet inscrit ses films dans une histoire du cinéma et elle picore dans ce récit. Après ses influences documentaires, et naturalistes dans La Bataille, et la comédie classique hollywoodienne pour Victoria, elle pose son dernier film au pied des figures de Bergman (et ses ramifications woodyallenienne) d’Antonioni et de Rosselini.

Sybil (Virginie Efira) est une ancienne autrice à succès qui a décidé de s’investir dans son travail de psychothérapeute, son éditeur la pousse à reprendre l’écriture. C’est la rencontre de Sybil avec Margot (Adèle Exarchopoulos), actrice fragile, qui va la décider à reprendre le fil de la fiction. Mais la confrontation avec l’actrice partie en tournage à Stromboli va la faire vaciller.

Sibyl Cannes 2019

Ce qui frappe très vite à la vue de Sybil c’est le travail de Justine Triet sur le montage, sa volonté de déconstruire tout comme de couper le corps de son actrice. Sybil se voit comme une femme du contrôle (elle a décidé d’arrêter d’écrire au grand désespoir de son éditeur, elle a décidé d’être une mère célibataire, alcoolique elle reste abstinente) et c’est ce personnage imperturbable qui interroge Triet. Mettre en scène de façon fragmentée la vie de cette femme permet dans un premier temps de préparer le public à la chute Sybil. En utilisant Efira, Triet pose la question d’un corps qu’elle a participé a construire, plus fragile encore à l’époque de Victoria et qui s’affirme aujourd’hui de plus en plus (entre autres par la direction qu’elle prend chez Paul Verhoeven). Ce corps qui s’affirme elle le filme dans toute sa nudité, et alors qu’elle faisait en sorte de construire son personnage de Victoria, elle prend un certain plaisir maintenant à le déconstruire. Il est évident que ce qui ressort avant tout de Sybil c’est ce travail commun de ces deux femmes et la façon dont elles s’apportent mutuellement pour nourrir les œuvres sur lesquelles elles se retrouvent.

Ce rapport en duo lui inspire une confrontation semble t’il nécessaire dans la travail de création. Elle le met forcément en scène dans Sybil lorsque son personnage va rejoindre Margot sur le tournage d’une cinéaste, Mika (Sandra Huller, déjà à Cannes pour Toni Erdmann) sur l’ile de Stromboli. Alors que le montage se fait plus classique, Triet referme le piège sur Sybil. Plus elle s’investit dans l’écriture de son livre, plus elle s’implique dans sa relation avec Margot et qu’elle accepte de tenir un rôle sur le tournage, plus elle devient le jouet de manipulation du monde du cinéma, où la frontière entre attirance des corps, sentiments amoureux et relation professionnels est pour le moins complexe. Alors qu’elle se pensait maîtresse autant de son destin (aussi bien dans son rapport a la fiction, que de son rapport au réel), elle comprend qu’elle va devoir s’abandonner et retrouver ses vieux démons. Elle accepte qu’elle n’est pas une auteur de fiction, mais qu’elle est elle même le fruit d’une fiction. Son salut se fera d’une étrange manière, en acceptant la fiction pour ce qu’elle est: un moyen de s’accommoder avec la réalité.

Sibyl de Justine Triet, avec Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos, Sandra Huller et Gaspard Ulliel.

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