Onze ans que les cinéphiles attendaient des nouvelles d’Alain Raoust. Cinéaste discret, auteur de deux films, La Cage et L’Été indien, salué par la critique, et chérie par un certain milieu parisien. On le reconnaît sans problème, on a découvert ce petit culte autour du cinéaste qu’en apprenant la sélection par l’ACID de son troisième long métrage : Rêves de jeunesse, titre bien moins mystérieux que celui d’origine : Alaska. Curieux de découvrir ce cinéaste, et de découvrir ses talents nous nous sommes précipités à la séance de son dernier film. Quelle ne fut pas notre déception.
Une fois encore Raoust centre son histoire autour de la figure de la jeune fille. Salomé, toute jeune adulte, urbaine et connectée, décide le temps d’un job d’été de retourner dans la campagne de son enfance. Évidemment elle va se confronter à ses fantômes, ses amours de jeunesse et ses combats oubliés. On nage en plein cliché, mais on continue à espérer la révélation pour rejoindre les gardiens du temple cinéphile.
Progressivement, l’agacement prend le dessus. Raoust, comme un lycéen section cinéma nous gratifie d’un film sursignifiant où la décharge publique aux conteneurs bleu blanc rouge, deviennent une métaphore du pays. La jeune fille est associée à Alice (du Pays des Merveilles), à un retour à l’enfance, tout en étant l’objet de fantasmes moins enfantins (Alain Raoust finira évidemment par filmer le corps dénudé de son actrice principale).
Surtout, le cinéaste utilise son film pour tenir un discours engagé ; tout y passe. Reprendre les expressions d’Emmanuel Macron en campagne à travers les dialogues d’une jeune fille de passage, le jeune retraité désespéré qui se voit comme une merde après avoir vu tous ses idéaux s’effondrer un à un jusqu’à le pousser à voter facho pour faire péter le système. Le jeune amoureux relooké en mode Édouard Louis, symbole aujourd’hui du prolo devenu figure de la révolte. Et puis évidemment la figure du zadiste, rebelle contre la société, qui semble avoir été à l’origine même du projet du film.
Cette question des nouvelles luttes est au cœur de Reves de Jeunesse. Il y est question d’une absence ; celle d’un jeune homme mort, tué par un gendarme. Le souvenir de Rémi Fraisse remonte à la surface et il est évident que le meurtre d’état du jeune écologiste sous le gouvernement socialiste de François Hollande hante le film de Raoust. Cette mort aujourd’hui en évoque d’autres, comme celle d’Adama Traore ou le récent décès de Zineb Redouane tuée par la police lors d’une manifestation de Gilets jaunes à Marseille, et elle nous pousse à nous interroger sur ce qu’est devenu la société française où l’idée de tuer des opposants politiques est aujourd’hui tout à fait acceptable pour le pouvoir.
Et pendant que le gouvernement préfère voir sa police fonctionner en roue libre, plutôt que de proposer des solutions pour améliorer la vie des citoyens, une bonne partie de la population ne s’émeut pas de l’ultra violence de la répression. À l’heure où le gendarme qui a lancé une grenade blindée de TNT un jeune gamin de 21 ans sous ordre de l’État français se trouve sauver par un non-lieu, il est heureux de voir des artistes comme Alain Raoust prendre la question au sérieux.
Il est dommage cependant que tant de bonnes intentions se retrouvent gâchées par une sorte de vision romantique et conservatrice, très soixante-huitard, des combats d’aujourd’hui. Où la question de la révolte trébuche sur les clichés de vieux standards rocks, de rap des années 90 ou d’affiches de classiques de la série B américaine. Dommage également d’avoir un casting aussi solide et de rester à la surface des corps, de donner à la chanteuse Estelle Meyer un rôle anodin dont on ne retient qu’une certaine antipathie, tout comme le passage éclair de Jacques Bonnaffé, anecdotique. Reste Salomé Richard très a l’aise dans son rôle et qui cherche à sauvegarder les meubles. C’est bien maigre.
Rêves de jeunesse, de Alain Raoust. Avec Salomé Richard, Jacques Bonnaffé, Estelle Meyer.