Ce premier week-end de Séries Mania 2019 fut marqué sous le sceau de la contestation. Happé par le rythme frénétique des projections, des rencontres, des retrouvailles avec des visages familiers, le festivalier peut être parfois tenté d’oublier le monde alentour. Ce dernier s’est rappelé à lui ce samedi au travers de deux événements concomitants et pourtant bien différents, l’un dans les salles obscures et l’autre dans les rues de Lille.
Ce samedi était en effet une nouvelle fois marqué du sceau des Gilets jaunes, qui organisaient dans les rues de la capitale des Hauts-de-France comme partout ailleurs en France l’acte XIX de leur protestation. Certes, on n’a pas de Fouquet’s ici (mais on a Francis Huster cette semaine, fournisseur officiel de jus de la fameuse « brasserie populaire ») mais c’était cette semaine que les tensions dans la ville ont atteint leur acmé. Résultat pour le festival : un bureau presse fermé dès midi au grand dam de quelques accrédités qui devront attendre le lendemain chercher leur badge coupe-file, et surtout, un Freddie Highmore bloqué à la sortie de sa Masterclass au Nouveau Siècle alors qu’il devait aller présenter dans la foulée la saison 2 de The Good Doctor, à l’UGC, distant d’à peine 500 mètres. Bien entendu, faisant partie des bobos gaucho-merdo-islamo-socialopes, j’étais du bon côté de l’injustice et ai pu donc assister au show bilingue très plaisant de l’acteur de Charlie et la Chocolaterie et Bates Motel. Si vous êtes passionnés par la carrière de l’acteur, à la recherche de quelques anecdotes à rajouter à votre scrapbook entre deux silhouettes découpées dans Séries Mag (ah non merde on est plus en 2007) ou si vous aimez juste dérouler des threads Twitter, vous pourrez retrouver un florilège de quotes de cette masterclass ci-dessous.
Au moment où la ville brûlait, à l’abri des lacrymos et des LBD, Séries Mania envoyait d’ailleurs un coup de pompe dans l’actu assez croquignolesque en programmant une des séries de son Panorama international : Chimerica, nouveauté venue d’outre-Manche et de Channel 4, ce qui veut forcément dire série qui mérite au moins un premier coup d’oeil. Cette adaptation d’une pièce de Lucy Kirkwood par la dramaturge elle-même, reprend un mot-valise issu du monde de la géopolitique économique. Contraction de China et d’America mise au point par l’historien Niall Ferguson, il désigne initialement l’entrelacement économique liant les États-Unis et la Chine depuis l’émergence du géant asiatique à l’échelle mondiale, remplaçant à l’époque le Japon. Ici point de PowerPoints barbants et de décryptages de François Lenglet, la Chimerica ici évoquée est politique et renvoie à un événement majeur de l’histoire de l’Empire du Milieu : les manifestations de la place Tian’anmen, réprimées dans le sang par le gouvernement chinois.
De cet événement, il est resté une photo, iconique : celui de cet anonyme manifestant venu défier le défilé des chars de l’armée chinoise, sacs plastiques à la main. « L’Homme de Tian’anmen », devenu au fil des ans le « Tank Man », symbolise à merveille le rapport que l’on peut avoir aux symboles de l’histoire. C’est d’ailleurs ce cliché qui est au centre de Chimerica, avec toutes les contradictions qu’il porte. De ce cliché que tout le monde a en tête, nous ne savons au final pas grand chose. Déjà parce qu’il n’existe pas qu’un seul, mais cinq clichés différents de ce moment, si bien que l’oeil non averti n’a jamais su faire la différence entre les versions les plus diffusées du Tank Man, celles de Stuart Franklin et de Jeff Widener. Chimerica en invente un sixième : Lee Berger (Alessandro Nivola), devenu depuis photojournaliste pour un quotidien new-yorkais. En pleine élection présidentielle en 2016, il retourne en Chine pour couvrir les liens d’argent qui lient le candidat républicain de l’époque (un certain Donald) aux banques d’investissement chinoises finançant sa campagne. Sur place, il se retrouve projeté dans son passé et décide de remonter la trace du Tank Man pour découvrir ce qui lui est arrivé.
Soyons précis tout de suite : Chimerica est une pure fiction. Le Tank Man n’a encore aujourd’hui toujours pas été identifié, alimente toutes les théories encore aujourd’hui non infirmées (et non, il ne s’est pas fait rouler dessus par le tank, c’est l’une des seules choses dont on est sûrs là-dessus). Lucy Kirkwood décide d’en développer une, qui a le mérite d’être ce qu’elle est et qui mérite de n’être jugée que comme ce qu’elle est : une fiction, eût-elle l’ambition de coller au plus près de l’Histoire avec une grande hache. On ne la creusera évidemment pas pour ne pas gâcher ce qui constitue le ressort narratif principal de l’intrigue. Mais on dira simplement qu’il faut pardonner à l’intrigue quelques deus ex machina et des subplots parfois pas toujours très inspirées (cette histoire de coucherie, bof bof) pour se concentrer sur ce qui fait le sel de Chimerica : son rapport à la mémoire.
Dans un pays qui a comme peu d’autres « réussi » en aussi peu de temps à réécrire son histoire, l’histoire de Chimerica est des plus évocatrices. Cette Chine a tellement su étouffer ses propres secrets et son histoire sombre à grands coups de censure que les générations suivantes ont déjà oublié Tian’anmen et l’homme aux sacs plastiques. C’est ce rapport à la vérité, et la conviction intime de la série que c’est cette quête qui justifie encore aujourd’hui la raison d’être d’une presse rarement autant attaquée et précarisée, qui fait de Chimerica une série efficace à défaut d’être toujours remarquablement inspirée. À mi-chemin de la mini-série dont les quatre épisodes seront prochainement diffusés sur Canal+ par chez nous, on a encore envie de lui pardonner ses défauts narratifs pour plonger dans son passionnant décortiquage historique.
À la sortie de Chimerica, les rumeurs bruissent : non seulement les Gilets Jaunes ont empêché Freddie Highmore de venir à l’UGC, mais il pourrait en être de même pour l’autre star du jour à Séries Mania : Anna Paquin, venue présenter Flack, mini-série en six épisodes co-diffusée par les chaînes américaine Pop (plutôt spécialisée dans la télé-réalité et le catch par ailleurs) et anglaise W. Par chance, par un jeu de coïncidences digne d’une référence à George Soros sur le compte Twitter d’un adhérent de l’UPRLePartiQuiMonteMalgréLeSilenceDesMédias, Anna Paquin était bien là pour présenter Flack en compagnie de la showrunner Cerise Larkin et du scénariste Oliver Lansley. Sorte de Ray Donovan en moins irlandais et en plus coloré, Flack raconte les aventures de Robyn (Paquin), agent dans une boîte de relations presse spécialisée dans la gestion de crise pour peoples prêts à être servis tous crus aux tabloïds. Une working girl quadra qui oscille, entre deux lignes de coke, entre le quotidien de starlettes de la pop et de maris adultères, et sa vie privée chamboulée par le décès de sa mère qui l’a conduit à quitter avec sa sœur son Amérique natale pour le pays de Shakespeare et Theresa May.
Sur le papier, Flack ne déborde pas forcément d’originalité : une dose de Sex and the City par ici, une autre de Fleabag par là, mais la série a le mérite de jongler habilement avec ses références. Portée par une Anna Paquin qui commence à très sérieusement se Jennifer Jason Leigh-iser (c’est un haut degré de compliment), Flack se suit avec beaucoup de plaisir, moins pour les frasques parfois un peu paresseuses de ses « cas de la semaine » (un Gordon Ramsay queutard, une enfant star qui veut se dévergonder…) que dans les concours de punchlines auquel se livrent les héroïnes de la série. Rien ne surpasse dans Flack les moments que partagent Robyn avec sa sœur Ruth, campée par l’excellente Genevieve Angelson (House of Lies, Good Girls Revolt et ce monument télévisuel qu’était Backstrom). Par moments assez artificiel dans son approche de la célébrité, Flack plaira cependant aux fans de Dix pour Cent, Scandal et autres joyeusetés du genre.
Chimerica, avec Alessandro Nivola, Cherry Jones, F. Murray Abraham, diffusion prochaine sur Channel 4 en Angleterre et Canal+ en France.
Flack, avec Anna Paquin, Genevieve Angelson, Lydia Wilson, diffusée depuis le 21 février sur Pop aux États-Unis, diffusion en France encore inconnue.
de la Bath de la critique française
Le cinéma https://sokrostream.tube ne doit pas être traité comme un morceau de vie, mais comme un morceau de gâteau.