Prince of Darkness : La Science des Rêves de Carpenter

Les ressorties Splendor Films de la filmographie du maître de l’horreur ne sont pas seulement l’occasion de redécouvrir ses films les plus reconnus, comme Halloween, New York 1997 ou Invasion Los Angeles. C’est aussi l’opportunité rêvée d’observer de plus près ses œuvres les plus personnelles et moins connues. Fog en fait partie, et son téléfilm Somebody’s Watching Me (mélange génial de slasher et de Fenêtre sur Cour) devrait en faire partie, mais c’est aujourd’hui Prince of Darkness qui nous intéresse. Un titre qui colle bien à la peau du bonhomme, et c’est bien normal : c’est sans doute son film le plus personnel.

Le Prince des Ténèbres donc, comme il s’appelait lors de sa première sortie française en 1987, raconte comment un prêtre, un professeur de physique quantique et ses étudiants se retrouvent dans une église désaffectée pour étudier un mystérieux phénomène : un liquide vert qui tourne dans un putain de bocal. Ensuite, on apprend que Jésus était un alien, que des humains du futur (le futur de 1999) envoient un message vidéo du futur dans les rêves du présent pour empêcher le futur. Un futur où le Mal sort de ce liquide vert (et je vous assure que ce n’est pas un prequel à Flubber avec Robin Williams), venant ainsi personnifier tous les démons du catholicisme et les vertiges face à l’inconnu de la physique des particules. Et puis y a Alice Cooper en clodo qui empale un mec sur un vélo, et un type rempli de cafards qui parle avec de l’écho parce que les cafards, ça fait de l’écho quand ça parle. Tout de suite, ça a l’air n’importe quoi, et le début de mon paragraphe ressemble aux blagues nulles qu’on raconte dans la cour de récré pour impressionner ses copains, mais il n’y a rien de drôle dans ce film.

Enfin si, au début y a un jump cut marrant sur un sous-entendu sexuel, et y a le perso de Walter qui fait des blagues giga nulles, racistes et sexistes et il est tellement risible que ça en fait un mec drôle malgré lui. Mais à part ça, tout est terriblement, indéniablement et constamment pesant. Même si l’action met très longtemps à démarrer, malgré la durée réduite du film, la musique est là dès les premières secondes pour nous faire comprendre que rien ne va, qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Danemark sur Terre. L’église désaffectée, cadre presque constant du film, n’est qu’oppressante. L’extérieur ne ressemble à rien, l’intérieur non plus, tout est pourri, tout pue l’abandon et le vide. Les sans-abris qui stagnent à toutes les issues sont si terrifiants qu’en sortant du cinéma, on se prend à regarder à tous les coins de rue voir si personne ne nous observe.

Et puis quand l’horreur frappe, Carpenter n’y va pas de main morte avec l’imagerie. Malgré le huis clos, il se permet des petites folies qui donne une ampleur qui a certainement contribué à faire de ce film un favori de beaucoup de ses fans : entre les fourmis et cafards qui pullulent, les vomis façon l’Exorciste et surtout les miroirs qui deviennent des portes lumineuses spatio-temporelles entre notre réalité et le monde des démons… On en prend plein les yeux et ça glace le sang. Et l’on se rend compte qu’en 90 minutes, et dans un film particulièrement lent (ce qui est décourageant pour beaucoup, on ne va pas se mentir), John Carpenter a BEAUCOUP à dire. C’est qu’il explore en long en large et en travers de porc son obsession la plus profonde, son délire le plus paranoïaque : l’existence du Mal.

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En effet, le réalisateur et musicien est persuadé qu’il existe un mal profond et immatériel qui dépasse les vices des hommes. C’est cette force maléfique qui anime The Shape dans Halloween, qui habite la voiture dans Christine, qui fait le lien entre toutes ses œuvres horrifiques. Au-delà des velléités humaines, il y a le Mal ; une angoisse paralysante qui se traduit par un long métrage où science et religion se confondent. Et il y a une vraie démarche derrière, et des recherches précises de sa part sur le sujet ! Sa conception du catholicisme s’appuie sur des croyances médiévales, notamment l’hérésie Cathare qui suppose que le Diable est l’égal de Dieu, et qu’il prend forme dans tout ce qui est matériel, là où le divin ne connait que le spirituel. C’est également cette conception qui nourrit des œuvres comme John Constantine, le comic book rendu célèbre par Alan Moore puis Garth Ennis. Quant à son approche de la science, elle est également extrêmement pointue. J’ai revu le film au grand Action avec mon meilleur ami, qui est chercheur en astrophysique à l’université de Surrey, et accessoirement sosie officiel de Louis Garrel, et il m’expliquait à quel point le tout reste cohérent scientifiquement parlant dans la dramaturgie de Prince of Darkness. Le génie du film, c’est de penser le Mal comme une force physique, composée de particules plus ou moins observables. Un peu comme l’amour est envisagé comme une force physique dans Interstellar, en vérité. Il y a toute une partie sur le chat de Schrödinger et la physique des particules, mais je vous avoue qu’il est tard, et que je suis trop fatigué pour réussir à faire semblant d’être capable d’expliquer ça sans raconter de la merde. Vous n’avez qu’à faire comme si je vous avais appris des trucs.

Carpenter n’est pas le premier à avoir exploré les atomes crochus des croyances et des approches empiriques, et il est loin d’être le dernier ; cependant, peu ont su allier les deux avec autant d’habileté. C’est que sa conception de la science n’est au fond pas très différente de sa vision de la religion : tout comme le professeur de physique quantique Birack dans le film, Carpenter a une approche philosophique de la chose. La foi et la science sont pour lui des portes ouvertes vers l’élaboration de ses névroses existentielles ; autrement et plus simplement dit, il interprète le monde comme un artiste. Peu importe que le Mal, cela n’existe pas pour de vrai. John Carpenter façonne le monde avec ses peurs, ce qui prouve deux choses : qu’il ne va pas bien du tout dans sa tête, et qu’il est capable de nous faire rêver. Ou cauchemarder, c’est selon.

Prince of Darkness, de John Carpenter, avec Donald Pleasance. Sorti en 1987, ressorti en 4K le 28 novembre 2018.

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1 thought on “Prince of Darkness : La Science des Rêves de Carpenter

  1. Prince of Darkness est en effet l’un des films des plus sombres de Carpenter, avec cette recherche et cette étude sur le mal qui trouve ici un cheminement intéressant avec une curieuse association entre un homme d’Eglise et un professeur en physique quantique (j’en parle plus largement ici, avec un point de vue proche de celui exprimé ici d’ailleurs : https://alarencontreduseptiemeart.com/prince-des-tenebres/).
    Et, comme dit, quand on résume le film, et c’est souvent le cas avec ce cinéaste, on pourrait croire à une mauvaise série Z ou à un nanar, mais pas du tout. Il y a beaucoup de profondeur dans ses films et ils arrivent toujours à nous marquer durablement. La filmographie de Carpenter a vraiment une cohérence globale qui donne du sens à chacun de ses films.
    Huis clos, manifestation du mal, ambiance mystique et fantastique… Aucun doute, on est bien chez Carpenter !

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