They Shall Not Grow Old : Ils étaient soldats

Par souci du devoir de mémoire, lArras Film Festival prend sa part dans les cérémonies de commémoration du centenaire de l’armistice ayant mis fin à la Première Guerre mondiale. Au lendemain du passage du président Macron dans le Pas-de-Calais (dans le sillage de la polémique d’une très grande finesse politique de part et d’autre sur l’héritage d’un des maréchaux de cette Grande Guerre), c’est un autre invité de marque qui a associé son nom à la ville : Peter Jackson. Deux jours avant sa diffusion sur les antennes de la BBC, c’est à la ville nordiste que le cinéaste néo-zélandais a réservé la primeur internationale (avec une première projection londonienne) de la présentation du documentaire They Shall Not Grow Old qu’il a supervisé.

Tout d’abord, pourquoi Arras ? Et bien parce que le réalisateur a noué une relation particulière avec la ville, et pas uniquement pour sa magnifique Grand Place caractéristique des « doubles places » flandriennes ou pour ses welchs au Maroilles. En 2016, il était venu en (relatif) catimini plonger dans les entrailles de la caverne Wellington pour les besoins d’un futur documentaire. Le séjour sur place semble donc s’être bien passé puisque deux ans plus tard, le cinéaste revient avec un petit cadeau. Qui plus est, un ancêtre de son épouse, Thomas Walsh, l’un des soldats à qui le film est dédié, avait qui plus est officié comme tunnelier sur le front du côté d’Arras. La boucle est bouclée.

Pour ce They Shall Not Grow Old (Ils ne vieillieront pas), Peter Jackson s’est plongé avec toute une équipe de restaurateurs (pas les cuisiniers hein, les autres) dans les centaines d’heures d’archives inédites aussi bien de la BBC que de l’Imperial War Museum, un regroupement de cinq musées militaires britanniques. Il en tire un documentaire d’1h40 d’images inédites, dépoussiérées, remasterisées en haute définition… Mais aussi colorisées et, pour certaines, augmentées en 3D pour certaines salles (nous avons eu le droit à la 2D, ainsi qu’à une VO non sous-titrée).

Quand les couleurs se confrontent aux horreurs graphiques de la guerre

Le procédé, on en est sûrs, ne manquera pas de faire quelques esprits chagrins dans ce vieux débat sur ce qu’il convient ou non de faire d’une image d’archive et des limites entre restauration et dénaturation. Au-delà des considérations éthiques sur lesquelles chacun se fera son avis, il convient de saluer l’incroyable travail technique opéré, même si celui-ci se heurte inévitablement aux limitations visuelles de l’exercice. Fumées et mouvements brusques restent les ennemis de la colorisation d’archives, mais l’expérience sur grand écran a quelque chose de sidérant, comme si l’on plongeait dans un livre d’images ou un vieux film hollywoodien. Le décalage en devient d’autant plus saisissant quand ces couleurs, tantôt ultra-réalistes, tantôt chargées d’un léger ton pastel, se confrontent aux horreurs graphiques de la guerre, aux plaies béantes, aux gangrènes, aux moucherons qui s’amassent sur les cadavres gisants.

Mais They Shall Not Grow Old n’est pas uniquement un tour de force technique. Le documentaire de Jackson est aussi une plongée dans le quotidien des soldats sur le front dans tous ses aspects, particulièrement les plus triviaux. Comment mange-t-on, dort-on, se fait-on des amis dans les tranchées alors que l’on peut y perdre la vie à chaque charge de l’ennemi ? Comment persiste-t-on au bout de quatre années épuisantes qui laissèrent derrière elles des millions de cadavres derrière elle ? L’approche de Peter Jackson est au fond moins historique qu’intime, mais pas au sens où on l’entend. L’un des risques de l’historiographie contemporaine est celle de recourir à l’excès de l’Histoire par le petit bout de la lorgnette. Chaque homme y devient la métaphore de l’humanité dans son ensemble, en niant les spécificités de chaque front, de chaque division, de chaque soldat.

Peter Jackson, lui, approche le problème d’une autre manière, en refusant de faire un documentaire sur la vie au front. La narration est ici uniquement constituée de témoignages de vétérans de cette guerre, collés les uns aux autres pour former une seule voix, multiforme mais unique : celle du soldat en guerre, qui navigue d’un sujet à l’autre, comme l’histoire d’un vieux papy qui raconterait la guerre à sa descendance, avec ses petites blagues ses anecdotes précieuses.

La proposition formelle n’est pas sans ses limites intrinsèques en terme de répétition. Mais que ce soit dans son exhaustivité dans le traitement des sources ou son ambition de retranscrire le rythme de la vie au front à l’écran (en alternant phases légères du quotidien, et explosions de violence et de chair), They Shall Not Grow Old est une véritable réflexion menée sur l’expérience de la guerre et les stigmates qu’elle laisse dans l’histoire. Celle du monde certes, mais aussi celle des hommes.

They Shall Not Grow Old de Peter Jackson, diffusé le 11 novembre sur BBC One.

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