Parce que le spectateur lui, passe un super moment devant ce film. Vous l’avez, c’est bon ? On peut passer à autre chose et vite oublier cette blague pitoyable ? Nous sommes en 1969 et un groupe d’étrangers se retrouvent dans un hôtel en piteux état, à la frontière entre la Californie et le Nevada. Littéralement, puisque l’hôtel est séparé par une ligne qui permet de savoir à tout moment dans quel état on se trouve. Cependant les lieux – et les nouveaux arrivants – dissimulent de nombreux secrets…
La plupart des cinéphiles – et notamment les aficionados de cinéma d’horreur – connaissent le nom de Drew Goddard grâce à son formidable premier long métrage, La Cabane dans les bois, dont le ludisme jubilatoire et la fin surprenante et apocalyptique auraient dû lui offrir un énorme succès en salles. Malheureusement, le film sortit au cinéma en même temps qu’un autre long, écrit et réalisé par le co-auteur de la Cabane : le premier film Avengers. Les plus grands fans savent cependant que la carrière de JJean LLuc Goddard a commencé sur les séries Buffy et Angel aux côtés de Joss Whedon, pour se poursuivre ensuite chez l’autre titan de la pop JJ Abrams, avec Lost et Alias. Il s’est ensuite fait remarquer pour son ingénieux script pour Cloverfield, la première partie de la saison 1 de Daredevil, et le scénario de Seul sur Mars. Vous l’aurez donc compris, Drew Goddard a une maîtrise accrue et… Maîtrisée, je dis ce que je veux ma prof de littérature de prépa n’est pas là pour me coller des points fautes, de tout ce qui touche à la pop culture. Sortir un thriller pulp totalement débridé tel que Sale Temps à l’Hôtel El Royale, c’est une suite logique pour un cinéaste qui prend plaisir à explorer les recoins du cinéma américain. Ce cinéma qui s’épanouit dans la crasse, le sang… Et les hôtels miteux.
toujours plus qu’un simple défouloir malsain, qu’un plaisir coupable de voir le sang couler
La première heure du film est un délice ; après une longue scène très drôle de check-in qui permet à Drew Goddard de montrer à tout le monde qu’il a pris de la bouteille en six ans et qu’il n’a pas peur de prendre son temps (on pense beaucoup aux séries de Vince Gilligan dans cette approche rythmique), on retrouve le ludisme de la Cabane grâce à une narration éclatée. Chaque personnage vient nous révéler ses raisons pour sa présence au Royale : Jon Hamm (son meilleur rôle au cinéma, assurément) n’est pas un banal vendeur insupportable mais un agent du FBI enquêtant sur les secrets honteux de l’hôtel. Jeff Bridges n’est pas un prêtre, c’est un truand venu récupérer de l’argent dissimulé dans une des chambres par un ancien camarade de braquages (chacun ses amitiés). Dakota Johnson est mêlée à une sombre histoire de secte impliquant sa petite sœur et le fabuleux, l’inénarrable, le superbe, Thor fils d’Odin roi d’Asgard, Chris Hemsworth.
La seule qui ne semble avoir rien à cacher c’est la chanteuse Darlene Sweet, interprétée par Cynthia Erivo et seule inconnue au bataillon (sauf si vous êtes fans de comédie musicale, dans ce cas vous aurez reconnu la star de La Couleur Pourpre) (Oui, il existe un excellent musical du film de Spielberg, et alors ?) (Si vous trouvez que ça fait trop de parenthèses, plaignez-vous directement en envoyant un mail à [email protected]). Darlene Sweet était chanteuse de studio à Los Angeles, jusqu’à ce qu’elle se fasse totalement humilier par un producteur (Xavier Dolan, qui se permet de voler le film avec son talent d’acteur pendant deux minutes, on lui pardonne bien) et qu’elle se retrouve à faire le show à Reno. Évidemment, la vraie héroïne du film, c’est elle. D’ailleurs, jamais l’actrice ne se laisse impressionner par le star power qui l’entoure ; elle tient tête sans broncher à Bridges, à Hemsworth et le fait même avec panache. On est déjà ravi.e.s de savoir qu’elle sera dans le prochain film de Steve McQueen, où on pourra la voir bouffer d’autres stars : Viola Davis, Colin Farrel, Carrie Coon et Robert Duvall.
Le cinéma de genre américain, quand il est bien fait, est une exploration de l’histoire de son pays.
En multipliant les points de vue, en dévoilant l’action présente et passée en nous baladant d’un personnage à un autre, le cinéaste nous place dans une position voyeuriste… Et la scoptophilie est bien évidemment au cœur de l’imagerie du film. J’en veux pour preuve cette séquence formidable où Jon Hamm découvre les coulisses de l’hôtel et observe les autres clients sans être vu, derrière une série de miroirs sans teint. C’est sale, mais c’est jouissif. Et puis, tristement diront certains, inévitablement répliqueront d’autres, et nécessairement termineront les plus intelligents (les cinéphiles débattent par adverbes, c’est bien connu), le jeu prend fin et le récit retrouve une forme plus classique pour sa deuxième heure.
Ce qui permet à Drew Goddard deux choses : la première est de lancer Chris Hemsworth sur le devant de la scène. Le plus-que-bel Australien était déjà dans la Cabane dans les Bois, mais dans un rôle peu flatteur. Cette fois, le canon ultime à la musculature surhumaine et la chevelure samsonesque (dîtes-moi si je force) a tout ce qu’il faut pour briller, et il ne se rate pas. Il interprète un gourou à la Charles Manson, qui attire les jeunes filles dans son lit et les envoie ensuite… Bon, je ne spoilerai pas ce détail, mais si vous connaissez le cas Sharon Tate, pas besoin de vous faire un dessin. En plus je dessine très mal.
La deuxième, et la plus importante et intéressante, c’est de montrer que le cinéma pulp tel que Sale Temps à l’Hôtel El Royale est toujours plus qu’un simple défouloir malsain, qu’un plaisir coupable de voir le sang couler. Le cinéma de genre américain, quand il est bien fait, est une exploration de l’histoire de son pays. Pas de la grande Histoire des Grands Hommes (et Femmes, qui sont elles déjà trop souvent oubliées), la petite histoire. Celle qui n’est pas belle à voir, celle qui s’écrit dans les marges comme le sang s’écoule dans les gouttières. Le long métrage de Drew Goddard s’appuie sur un contexte : nous sommes en 1969, et Nixon est président. Les faux semblants de l’Amérique picturale des fifties ont été réduits à néant par le chaos du Vietnam, par les affrontements entre la police et les Panthers, la naissance (dans le sang) des autres mouvements minoritaires, les assassinats, les sectes, le terrorisme des Weathermen… Toute cette violence qui fascine tant Drew Goddard et tout le cinéma d’exploitation avant lui, elle n’a jamais eu vocation à être gratuite. Voilà pourquoi la deuxième heure de Sale Temps à l’hôtel El Royale ne peut plus se permettre d’être ludique et interactive comme la première ; c’est que le cinéaste prend le divertissement très au sérieux. Et en voyant son film, on ne peut s’empêcher de penser à un autre réalisateur qui a commencé dans le pulp et qui depuis dix ans tente de réconcilier le cinéma d’exploitation avec la Grande Histoire Américaine. Il s’appelle Quentin Tarantino, et son prochain film Once Upon a Time in Hollywood pourra très certainement former un diptyque tout à fait convaincant avec Sale Temps à l’Hôtel El Royale.
Sale Temps à l’Hôtel El Royale, de Drew Goddard. Avec Cynthia Erivo, Jon Hamm, Jeff Bridges, Chris Hemsworth, Dakota Johnson. En salles le 7 novembre 2018.