Les compères Kervern et Delépine continuent de sillonner les territoires en friche des déclassé.e.s, de ceux qui ne sont rien. On l’avait noté avec Saint Amour, après le coup de déprime de Near Death Experience, les deux artistes préfèrent se tourner vers les petites lueurs d’espoir et les utopies communicatives que se complaire dans un nihilisme cynique. On peut déjà y trouver les raisons de ce titre énergique : I Feel Good. Avoir la pêche de faire un film qui prend ses forces dans le sud-ouest et y tourner un nouveau conte moral : celui d’un quadra qui souhaite monter sa nouvelle entreprise et qui décide de traverser la rue. Sur le trottoir d’en face, une communauté Emmaüs.
C’est positive attitude, du gars qui en veut, ne se laisse pas envahir par les embûches et le déterminisme social. Pierre Bourdieu, you shall not pass !
Petit rappel : En 1949, le député Henri Grouès, le François Ruffin de l’époque, se retrouve à Neuilly Plaisance avec une propriété un peu trop grande pour lui et sa secrétaire. Il décide d’utiliser une partie de l’édifice pour y créer un foyer d’accueil. Très pieux, il décide de lui donner un nom : Emmaüs, du nom de ce village palestinien où un certain JC fut hébergé par des habitants qui ne lui posèrent aucune question sur les raisons de son errance. En ouvrant ses portes à quiconque se trouvant dans le besoin l’ancien résistant, c’est tout à son honneur, continuait son combat humaniste par d’autres moyens. Suite à un hiver qui fut fatal à un nécessiteux parisien, en 1954, Henri Grouès poussa une gueulante historique qui fit connaître au niveau national son combat politique et ce qui n’était qu’un foyer devint toute une communauté. Implantées aujourd’hui, grâce à d’autres décisions politiques provoquant une pauvreté de masse, dans toute la France, les communautés Emmaüs privilégient la solidarité et le travail collectif pour permettre à ceux qui sont abandonnés de tous de se reconstruire.
C’est dans – sans doute – la plus iconoclaste des communautés Emmaüs implantées à Lescar sous l’impulsion de Germain Sarhy, marqué par sa rencontre avec Grouès, que se déroule I Feel Good. Véritable petit village autogéré multicolore, c’est le lieu idéal pour que Jean Dujardin puisse développer son business plan. En débarquant un jour en robe de chambre à Lescar, il retrouve sa sœur responsable de la communauté et décide d’entraîner toute la collectivité dans son projet : rendre les gens beaux. Et pour cela, il va mettre à contribution les dernières techniques de développement personnel et les mantras de l’idéologie du management. Après tout, si Emmanuel Macron a pu devenir banquier d’affaires, et président de la République, si Léa Seydoux a fait l’école de la rue pour arriver là où elle est, pourquoi pas nous ? C’est positive attitude, du gars qui en veut, ne se laisse pas envahir par les embûches et le déterminisme social. Pierre Bourdieu, you shall not pass ! Et c’est là tout le génie des cinéastes : soutenir jusqu’au bout le combat de leur personnage. Ils observent avec humanisme, plein de compassion ce prolo qui refuse de reconnaître la dépression qui le ronge et se convainc qu’en échangeant un t-shirt pour une chemise on trouve tout d’un coup du boulot. Dujardin de son côté jubile dans son travail de mimétisme avec le vocabulaire creux d’Emmanuel Macron dont il prend parfois les intonations. (ndlr : la comparaison inépuisable entre OSS 117 et Jupiter avait déjà posé les bases)
Mais évidemment, puisqu’on est chez Delépine et Kerven, I Feel Good est surtout un prétexte pour poser leur caméra sur un territoire d’utopie autogestionnaire et de filmer ceux et celles qui font vivre cette communauté. Effectivement, certains protagonistes du film sont des compagnons d’Emmaüs, quand d’autres sont tout simplement des habitants du coin. Enfin, comme souvent, les deux gus poussent devant leur écran leurs proches. S’ils prennent soin de ne pas heurter leur personnage principal, tout le dispositif filmique prend à contre-pied le discours du capitalisme triomphant. Là où Jean Dujardin veut rendre physiquement les gens beaux et conformes aux couvertures des magazines, les deux artistes filment la beauté des gens qui travaillent en commun. I Feel Good se refuse évidemment au misérabilisme et à l’échec, on n’est pas chez Ken Loach. Ils sont aidés en cela par les intermèdes musicaux composés par deux anciens de Zebda qu’on a plaisir à retrouver ici. Ils cadrent surtout avec la même rigueur que lorsqu’ils travaillaient sur Aaltra et Avida, mais cette fois-ci en couleur. Le générique qui ouvre le film fait figure de ce point de vue de manifeste, les encombrants qui servent de base aux produits qui seront vendus par la suite par la communauté sont filmés comme une installation d’art contemporain. L’art est dans la rue, et à l’instar d’André Robillard, ils travaillent le bric-à-brac pour en faire un projet artistique et une arme contre le capitalisme criminel.
I Feel Good, de Benoit Delépine et Gustave Kervern. Avec Jean Dujardin, Yolande Moreau, Xavier Mathieu, Jean-Benoit Ugueux, Lou Castel, Joseph Dahan, Joël Seria, Jeanne Goupil.