L’Une chante, l’autre pas d’Agnes Varda

L’été est là, le soleil brille, la chaleur émane des cœurs et des corps, les mœurs se libèrent et les oiseaux chantent. Parfait timing que choisit Agnès Varda, après sa présentation à Cannes Classics, pour la re-sortie en salles et en version totalement restaurée de son drame féministe, L’Une chante, l’autre pas, aux accents floraux et estivaux. Malgré la mince distribution du film et sa faible popularité, le métrage de 1977 de la maman du cinéma français sera donc une seconde fois à l’affiche le 4 juillet 2018. Heureux hasard (ou non), que la rediffusion d’un film féministe engagé par les temps qui courent : le soulèvement massif moderne des femmes, qui revendiquent leur place au sein d’une société qui ne semble pas avoir assez conséquemment évolué depuis les années 70, fait écho à la diégèse de cette œuvre intemporelle aux résonances complètement actuelles. Récit centré au cœur du mouvement hippie, de la célébration de la femme libre et et de l’apogée de la MLF, L’une chante, l’autre pas se révèle comme véritable chronique immuable des droits des femmes.

MILITANTISME

Au temps où les femmes commençaient à faire des films, et où celles-ci essayaient de s’affirmer sur le plan artistique et de prendre position sur le cinéma, Agnès Varda décide de conter les aventures de deux d’entre elles sur une vingtaine d’années, à l’époque des robes à fleurs et des hommes aux cheveux longs, liées par une profonde amitié d’enfance : Pauline (Valérie Mairesse), révoltée, fâchée avec ses parents, mais combattante et vigoureuse, chantera son mécontentement et aidera financièrement son amie Suzanne (Thérèse Liotard), enceinte sans vouloir garder l’enfant qu’elle attend. Leur relation sera surtout épistolaire, Pauline dite « Pomme » dans le film, ira chanter en itinérante avec sa troupe la gloire de la femme et de sa liberté, tandis que Suzanne représentera celle en proie avec la dure réalité des faits, ancrée dans un carcan avec ses enfants depuis sa jeunesse. Elle est celle que Pauline libérera un peu à travers ses lettres, et son militantisme.

Agnès Varda, L'Une chante, l'autre pas, cinématraque

En opposant deux amies aux passés qui ne s’accordent pas mais se rejoignent par des expériences communes, Varda illustre un plaidoyer où chacune mène son propre combat : le thème principal étant celui de l’avortement (l’importance du slogan dans le film : « nous voulons des enfants désirés »), les réflexions prennent du sérieux sur l’éducation des femmes, les questions de contraception, le planning familial etcIl est nécessaire de « chanter l’amitié des femmes » et leurs alliances afin d’évoquer les faits avec justesse : la condition féminine ponctue l’ensemble de l’œuvre qui se tient de manière harmonieuse et esthétique – on notera particulièrement le travail de la chef décoratrice du film, Franckie Diagot, qui y introduit des éléments marquant la volonté de joie de vivre à travers la festivité des couleurs pastel dans les tenues des protagonistes, ou avec ce camion de tournée complètement peint et décoré de fleurs.

le regard contemporain d’une femme, sur les femmes

Le film apparait comme témoignage d’un temps et de ses actions politiques, le regard contemporain d’une femme, sur les femmes : il n’y a d’ailleurs aucune marque de jugement ou de comparaison entre Pomme et Suzanne, et réciproquement. Elles se nourrissent au contraire de leurs différences et leurs peu nombreuses similitudes pour se forger, s’émanciper, et mener la lutte la plus sensée possible. Suzanne rêve un peu en lisant les lettres de Pomme, bohème, un jour phase de création artistique, l’autre en train de chanter avec sa bande de filles dans les petits villages, ou encore en voyage en Iran avec Darius, son amoureux et futur père de son enfant. Pauline quant à elle s’inspire un peu du matérialisme de Suzanne, plus morose et terre-à-terre, mère depuis ses vingt ans, travaillant au planning familial et conseillant des femmes sur la question de l’IVG. Agnès Varda filme une curiosité, observatrice, la caméra ratisse large pour une densité d’informations, cachée tantôt derrière une porte, tantôt presque noyée dans la foule écoutant Pomme chanter sa ballade des « nanavortées ».

L’Une chante, l’autre pas est donc un film à l’intonation incontestablement kitsch et vintage à voir ou à revoir, à l’interrogation des controverses modernes, une œuvre quasiment anachronique qui tombe à pic. Agnès Varda se souvient d’ailleurs de l’équipe du film : sur 20 personnes, 10 hommes, et 10 femmes : chiffres plus que symboliques en ces années de lutte pour la parité au cinéma.

L’Une chante, l’autre pas d’Agnès Varda, avec Valérie Mairesse, Thérèse Liotard, Robert Dadiès, sortie en salles le 4 juillet.

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