Annecy 2018 : Palmarès, Bilan, Analyse.

Maintenant que nous avons évacué les derniers litres d’alcool qui coulaient dans nos veines ces derniers jours, il est temps de revenir sur cette belle semaine au bord du lac. Annecy 2018 s’est terminé tout doucement d’abord dans la grande salle de Bonlieu, puis bruyamment et avec joie ensuite au MIFA où tous les bénévoles, employés, journalistes, artistes et producteurs ont mélangé leur transpiration — et parfois, salive — au rythme de la musique endiablée. En plus de la remise des prix, nous avons eu droit aux habituels courts métrages de clôture :

  • Belly Flop, film brésilien qui « met en images une fillette apprenant à plonger, récompensée de sa persévérance en ne se laissant pas perturber par une plongeuse expérimentée qui lui vole la vedette ». Très drôle, superbement animé.

  • Dreamland, court expérimental de Mirai Mizue dans lequel des formes et des couleurs s’agitent sur de la musique. Expérimental, quoi.

  • Bilby, deuxième court métrage Dreamworks, en 3D cette fois. L’histoire d’un Bilby solitaire et d’un oisillon qui tentent de survivre aux terribles dangers du bush australien. D’abord classique, le film finit par péter un plomb et aller vers la folie tous azimuts, et donc par devenir très séduisant.

  • Et enfin et pas des moindres, une reconstitution historique par les historiens Donald Crafton (Université de Notre Dame) et Marco de Blois (Cinémathèque québécoise) de l’œuvre du pionnier de l’animation américaine Winsor McCay, Gertie the Dinosaur. Plus qu’une simple animation, c’est un véritable spectacle de vaudeville avec un comédien (Anthony Lawton) et un pianiste (Gabriel Thibaudeau). Un vrai bonheur.

Gerci le dino, Annecy 2018, Cinématraque

Cette cérémonie était aussi particulière puisqu’il s’agissait de la dernière année de Patrick Eveno, directeur de CITIA. Ce dernier a été récompensé par ses pairs, ainsi que par de nombreux artistes de l’animation qui lui avait préparé de petites surprises. Il s’est vu remettre une accréditation dorée, qui lui donne accès au festival à vie, devenant ainsi la seconde personne seulement à recevoir cet honneur après Jeffrey Katzenberg, cofondateur de Dreamworks. Nous espérons bien que la prochaine personne à recevoir cette accréditation dorée sera Cinématraque, pour la qualité de ses articles bourrés de qualité, précision, humour et surtout modestie.

Le Palmarès, le Bilan : Annecy 2018, c’était comment alors ?

Beaucoup de femmes récompensées encore cette année : Nienke Deutz a obtenu le Cristal pour son superbe court métrage Bloeistraat 11, Martina Scarpelli le prix de la première œuvre pour Egg, ainsi que Jenny Jokela qui repart avec le Cristal pour son film de fin d’études Barbeque. Bien sûr, le grand nom que l’on retiendra, c’est celui de Nora Twomey la réalisatrice de Parvana, qui repart avec le Prix du Jury ainsi que le Prix du Public, mais que cela ne cache pas une réalité bien marquante : il y a une bien plus grande parité homme/femme dans les films de fin d’études et les courts métrages que dans les longs. Cette année, seule deux femmes avaient un film en compétition sur les dix films présentés — et deux autres excellentes réalisatrices (Naoko Yamada et Hsin Yin Sung) avaient des longs uniquement présents en hors compétition. Le festival s’est engagé à améliorer cette sélection dans les années à venir en signant la charte 5050 en 2020 ; à voir donc comment tout cela évoluera avec le temps.

Le grand gagnant de cette édition 2018, c’est l’adorable — il l’est vraiment ! – Dennis Do ; il repart avec un Cristal pour son tout premier long-métrage Funan. Ce film n’était pas du tout dans nos favoris… Mais son message fort, ses comédiens. nes inspiré. e. s, son excellente musique originale, ses réflexions intelligentes sur les rapports de pouvoir lui ont permis de convaincre le jury malgré un rythme narratif parfois bancal. Pourtant, ce choix n’est pas si surprenant lorsque l’on réfléchit à la sélection 2018 dans son ensemble.

Annecy 2018: Palmarès

En effet, nous avons trouvé les films de la sélection 2017 meilleurs individuellement. Cette année, nous n’avons pas forcément été convaincus à chaque fois, mais force est de constater que la compétition faisait preuve d’une cohérence assez remarquable ; en d’autres termes, la sélection ressemblait réellement à une sélection, des choix à la fois artistique et politique dans le but de constituer un tout uni. Ce ne sont pas des œuvres seules et isolées, mais des créations qui ont réussi à dialoguer ensemble durant toute la durée du festival et à créer une vraie intertextualité.

Presque tous ont été pensés pour un public d’adulte. Tous parlent de construction identitaire en miroir avec le rapport à la famille ; le plus marquant sur ce sujet étant probablement le Seder-Masochism de Nina Paley dans lequel elle met en scène un entretien avec son propre père, où elle est représentée par une chèvre noire et lui par un Dieu/Dollar. Beaucoup parlent de guerre/conflit de manière frontale ou détournée (La casa Lobo, Parvana, Wall, Tito et les Oiseaux, même Mirai dans certaines séquences), mais aussi d’exode (Funan, Seder-Masochism, Virus Tropical). Finalement, c’est un état du monde très conscient que nous propose cette sélection ; un monde qui va mal et qui s’enfonce dans la peur. La peur de l’autre, la peur du changement, la peur de révéler ses faiblesses. A ce titre, il est d’autant plus inattendu qu’un film comme Happiness Road ne figure pas en sélection ; il cochait absolument toutes les cases, et aurait bien aisément pris la place d’un Cinderella the Cat poussif et sans grand propos.

Annecy aux plusieurs visages

Marcel Jean, le délégué artistique, peut donc se féliciter de la qualité globale de sa sélection, qui se marie toujours aussi bien avec les séances événements souvent plus axées sur le cinéma pour enfants. Les projections en plein air sur le Paquais, les interventions de Disney, Sony, Dreamworks, sont la parfaite réponse à cette animation résolument adulte. C’est probablement ce mélange qui permet au festival de grandir encore et encore chaque année, et aussi de se rouvrir à un public plus populaire notamment aux habitants d’Annecy, pour qui il était devenu plus difficile de profiter de la semaine. Nous espérons que cet équilibre poursuivra lors de l’édition 2019, qui viendra célébrer l’animation japonaise. Il ne me reste qu’à remercier Cinématraque qui nous laisse Lucas et moi écrire sur ce festival, remercier Laurence Ythier et toute l’équipe relations presse et de la salle presse de Bonlieu, ainsi que tous les animateurs, artistes, réalisateurs, auteurs, producteurs et collègues-journalistes qui ont fait de cette semaine un pur bonheur encore. On vous envoie du love et l’on vous dit à l’année prochaine.

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