Plaire, aimer et courir vite : Que par la douleur du partir

Instant confession (il est 22 heures passées au moment de débuter ce papier) : peu de filmographies me laissent aussi froides que celles de Christophe Honoré. Les chansons d’amour et Non ma fille, tu n’iras pas danser représentent à leur façon une certaine vision de l’enfer cinéphilique, de grandes carcasses faites de pompe, de morgue et de sumac littéraire qui dissolvent tout élan d’authenticité en la noyant dans un gloubi-boulga poseur et dévitalisé. Ses films ne m’ont toujours apparu que comme des masques creux confondant sophistication et morgue superfétatoire (moi aussi je peux sortir les élans littéraires). Alors lorsque s’est avancé Plaire, aimer et courir vite, on va dire que l’enthousiasme n’était pas forcément au même niveau que celui de certains de mes confrères.

Plaire, aimer et courir vite, c’est l’histoire de Jacques (Pierre Deladonchamps), écrivain parisien aux amours multiples qui fait un jour la connaissance d’Arthur (Vincent Lacoste), étudiant breton. Ils ont quinze ans d’écart mais se plaisent et vont succomber aux plaisirs de la chair. Mais la passion entre les deux hommes tourne à la course contre la montre : atteint du VIH, Jacques se sait sur la sellette comme l’est dans le même temps son ex petit ami Marco.

Portant sur ses épaules la douloureuse question du SIDA, Plaire, aimer et courir vite introduit une donnée assez nouvelle dans le cinéma assez intemporel d’Honoré : celui de l’urgence et de la contemporanéité. Profondément ancré dans ce qui fut le traumatisme de toute une génération d’homosexuels, Plaire, aimer et courir vite n’aurait pas pardonné la frivolité qui guette souvent son art. Grand bien en fasse à ce dernier : bien que composant toujours avec la texture profondément littéraire de ses dialogues, Plaire, aimer et courir vite laisse enfin poindre ce qu’on cherchait désespérément derrière les belles enluminures verbales que sont les films d’Honoré : un cœur qui bat, et qui bat vite.

Plaire, aimer et courir vite devait à l’origine s’intituler Plaire, baiser et courir vite (et Louis Garrel devait tenir le rôle finalement dévolu à Pierre Deladonchamps). Le changement de titre fait plus honneur à la tonalité du film car au fond, même si on y baise, c’est l’amour qui en est le point central. Ça ne baise jamais frontalement ici, la caméra s’attarde beaucoup plus souvent sur l’avant l’après, et surtout le pourquoi. Le sexe n’est jamais une fin en soi, y compris pour ceux qui se sont jurés une existence de queutards dans les parkings souterrains, dans les week-ends au bord de la mer ou dans la cour de leur immeuble. Honoré cite volontiers la Querelle de Fassbinder (le personnage joué par Deladonchamps en possède une affiche chez lui), avec lequel son film partage cette même pulsion du sexe crépusculaire avant la fin, mais ne peut s’empêcher de laisser ses élans badins reprendre le dessus. Dans Plaire, aimer et courir vite, on baise, et ensuite on espère tomber amoureux.

De par son sujet et de par la trace qu’a laissée le second dans la mémoire collective, Plaire, aimer et courir vite sera inévitablement comparé à 120 Battements par Minute, le coup de poing de Robin Campillo sacré par le Grand Prix du Jury l’an dernier (et très certainement volé d’un souffle de la Palme au regard des échos du jury de l’an dernier). Ces deux œuvres abordent certes la même maladie et la même époque, la fin des années 80/début des années 90 et l’explosion du nombre de cas dans le pays, mais n’ont pour le reste strictement rien à voir. Ce sont même on pourrait dire deux œuvres radicalement opposées au point d’en devenir complémentaires : 120 BPM était avant tout un film politique, une déclaration de guerre à tous ceux qui n’avaient rien fait et un cri de rage d’une génération sacrifiée. Plaire, aimer et courir vite est à l’image de son titre hédoniste, le cri d’amour de malades qui cherchent encore à aimer, différemment, jusqu’au bout du bout. Comment continuer à sentir le frisson de la passion, comment continuer à bander entre deux perfusions, comment envisager un engagement dans une situation qui vous pousse à tout laisser partir ?

Le cri d’amour de malades qui cherchent encore à aimer, différemment, jusqu’au bout du bout

L’enjeu est plus microscopique et n’a d’autre vertu politique que celle de la représentation. Honoré ne veut pas faire un film sur le SIDA (enfin si, mais là n’est pas son intention première), il veut faire le récit d’un amour tragique, non pas parce que les amoureux savent que leur amour ne sera que bref, mais que parce qu’ils ne savent pas comment occuper le temps qui leur reste. Ces amoureux, ce sont Deladonchamps, Lacoste, mais aussi Denis Podalydès, formidable en voisin quinqua amateur de relations tarifées, jamais avare de bitchage intensif. Parfaits dans leur rôle, ils peuvent déjà (pour les deux premiers) se poser dans la course pour le prix d’interprétation masculine. Le film n’est sans doute pas le home run auquel ses plus fervents partisans s’attendaient, notamment à cause d’un rythme déroutant, et on a du mal à voir dans ce qui est certainement la première grosse attente de la compétition officielle l’étoffe d’une Palme en puissance. Mais il a le mérite d’élever le cinéma d’Honoré à des degrés de gravité qu’on lui avait rarement connu, notamment lors d’un épilogue quasi parfait.

Dire que Plaire, aimer et courir vite réconciliera l’auteur de ces lignes avec Honoré est un bien grand mot. Son film reste encore prisonnier de sa patte, qui fossilise encore trop par moments les élans du cœur qu’on ressent enfouis chez ses héros. Honoré restant Honoré, il ne devrait pas se formaliser qu’on continuait à lui reprocher ce qu’on a cessé de lui reprocher depuis des années. Son dernier effort est déjà possiblement son plus beau film, le plus vivant, et le plus incarné. C’est un très bon départ pour une réconciliation.


Plaire, aimer et courir vite, de Christophe Honoré, avec Pierre Deladonchamps, Vincent Lacoste, Denis Podalydès…, en salles depuis le 10 mai

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