Le rideau est tombé sur le premier festival Séries Mania délocalisé à Lille au terme d’une cérémonie de clôture qui a récompensé entre autres à deux reprises la série italienne Il Miracolo, la française Ad Vitam dont on vous avait vanté les mérites, et surtout l’israélienne On the Spectrum, Grand Prix du jury et petit phénomène critique qui a mis en émoi la plupart des festivaliers. La série mérite entièrement son bouche-à-oreilles, tant elle arrive à dépeindre avec intelligence et subtilité le quotidien de trois jeunes autistes vivant en colocation. Irrésistiblement légère tout en abordant les choses frontalement et sans idéaliser la situation, la série créée par Dana Idisis (On the Spectrum est inspirée de la vie de son frère, lui-même atteint d’autisme) et Yuval Shafferman est un brillant gagnant, venu auréoler une sélection officielle solide à deux ou trois exceptions près (la gentille mais inoffensive American Woman, la déjà-vue Warrior et la totalement ratée The Rain). Le palmarès restera en tout cas fortement marqué du sceau d’Arte, la chaîne franco-allemande produisant Il Miracolo et Ad Vitam, et étant pressentie pour être la diffuseur d’On the Spectrum.
Au milieu d’un palmarès souvent sans grande surprise (et sans beaucoup de vainqueurs venus chercher leur statuette malheureusement) récompensant les têtes de gondole de chaque sélection, on notera aussi le double prix remis à Kiki & Kitty, un improbable format court australien dans laquelle une jeune femme aborigène se réveille un jour avec une amie imaginaire qui n’est autre que la personnification de son propre vagin. C’est très drôle, je sais absolument pas quand ça passera en France, mais si ça arrive un jour, jetez un coup d’oeil sur cette série qui arrive en plus à mettre en lumière un format, le 12 minutes, encore assez confidentiel dans le domaine sériel malgré l’arrivée de nouvelles plateformes destinées à les mettre en valeur (Blackpills, Studio+…).
En guise de friandise finale, Séries Mania nous a laissé sur le double épisode pilote de Babylon Berlin, nouveau blockbuster d’époque venu d’outre-Rhin et téléguidé par le touche-à-tout Tom Tykwer, compagnon de route des deux chefs-d’oeuvre des sœurs Wachowski que sont Cloud Atlas et Sense8. Sorte de polar noir baroque en pleines années folles, sous fond de traumatisme post-Première Guerre, innocence d’un monde qui espère encore ne pas connaître d’autre guerre et tensions souterraines d’un bloc soviétique qui s’entredéchirent suite au schisme entre Trotsky et Staline. Dans ce Berlin de 1929, l’inspecteur Gereon Rath, addict comme tant d’autres aux substances qui leur font oublier les horreurs du front, est envoyé de Cologne à Berlin sur la trace d’un mystérieux film au contenu explosif.
Esthétiquement, entre ses montages cut sophistiqués, son goût pour les inserts, les ambiguïtés de genre et les ambiances fastueuses, Babylon Berlin ne déroutera pas les habitués du travail de Tykwer. Extrêmement dense en terme d’action et de personnages sans jamais avoir peur du trop-plein, la série est un généreux barnum de masques fuyants et d’identités doubles. Déjà diffusée il y a plusieurs mois en Allemagne, la série devrait l’être prochainement en France sur Canal+.
Outre la publication de notre interview des créateurs de McMafia Hossein Amini et James Watkins, que vous pouvez retrouver par ici, ces deux derniers jours ont été propices à lever un peu le pied sur les projections (pas mal de reprises pour ceux qui avaient raté certains trains en marche) et aller explorer certains à côtés du festival. Une séance d’Upfronts qui a levé le voile sur quelques projets européens à surveiller ces prochains mois. Une visite à l’Open Museum, tradition du Palais des beaux-arts qui permet à une autre discipline artistique, en l’occurrence ici les séries télé, de venir nouer un dialogue direct avec les œuvres d’art classiques (vous avez encore jusqu’au 16 juillet pour la rattraper, pas de panique). Mais aussi une session de trois pilotes issus des projets des étudiants de la Fémis, la même filière dans laquelle est née la magnifique Irresponsable, tête de proue de la nouvelle comédie cathodique made in France, et nouveau mètre-étalon des productions proposées par la vénérable institution.
Un pilote imparfait mais réussi, et plein de promesses
Amazone, Super et One Woman ont offert chacun des pistes intéressantes, malgré leur degré d’aboutissement et de professionnalisme divers. Le premier, une sorte de Breaking Bad en milieu équestre, vaut pour son beau portrait de femmes ex-taulardes mais dilapide trop rapidement certains de ses ressorts dramatiques pour son propre bien. Le second est une bizarrerie burlesque sur la vie quotidienne du fils d’un Superman bien français, qui tente de s’insérer dans son nouveau lycée dans l’ombre de son imposant paternel. Très amateur dans la forme, le pilote mérite tout de même une certaine bienveillance pour certaines de ses situations et quelques répliques inspirées, mais difficile en l’état de voir ce pilote fait de bric et de broc aller beaucoup plus loin. Mais avec une équipe plus rodée aux manettes, le projet n’est pas inintéressant.
Mais c’est One Woman qui récolta à coup sûr les rires les plus francs et l’accueil le plus généreux. Non seulement c’est mérité, mais on vous prévient tout de suite : impossible que ce pilote, lui, n’arrive jamais sur les écrans. Créée par Gabriel Bonnelye et Chloé Glachant, elle aborde la vie de Cathy, caissière dans un supermarché bio, traînant à la quarantaine approchante sa midlife crisis dans l’appartement qu’elle partage avec son fils et son père. Envoyée fissa en thérapie chez une psy, elle y rencontre Didier, qui lui fait découvrir le stand-up : prise au jeu, elle se met en tête de se lancer dans une nouvelle carrière. Ah et on a oublié de vous dire, la Cathy en question est jouée par Blanche Gardin, nouvelle coqueluche de la scène française, qui pose sa patte PARTOUT sur le pilote de One Woman. De son nom crédité au scénario de l’épisode à son fetish pour Louis CK, tout dans One Woman respire et transpire Blanche Gardin, qui essaie clairement ici de signer son propre Louie. C’est hilarant, le sens du tempo comique est ciselé comme rarement dans une comédie télé française, et l’ensemble rayonne de cette aura « dramédie » que la France essaie toujours autant d’importer d’outre-Atlantique. One Woman est parfaitement dans l’air du temps, et donne déjà une telle impression de professionnalisme que c’en est presque injuste de le comparer aux deux autres projets, qui ne donnent pas l’impression de pouvoir lutter avec les mêmes armes (le casting aligne tout de même Thomas Scimeca des Chiens de Navarre, Jean-Christophe « Martoni » Bouvet ou encore l’humoriste Aymeric Lompret). Ca reste un pilote d’étudiant, donc imparfait avec quelques baisses de rythme, mais le résultat est déjà en soi tellement abouti et tellement prometteur qu’on ne s’avancera pas trop en disant que ça a la tête d’une série qu’on pourrait retrouver prochainement à Séries Mania, mais dans les compétitions officielles.
Pour ce qui fut notre dernière projection avant la cérémonie de clôture, ces pilotes de la Fémis ont apporté une conclusion pleine d’espoir à un festival qui n’en aura pas manqué. Monté en moins de neuf mois et devant faire face à la concurrence d’un Canneséries dissident, Séries Mania a dans l’ensemble relevé son pari. Le changement de dimension d’un festival désormais plus uniquement confiné dans un lieu unique a dans l’ensemble fonctionné, gagnant en variété de programmation ce qu’il a pu perdre en intimité sériephile. Malgré le faible nombre de séances véritablement sold-out et un effet tapis rouge assez raté lors de la cérémonie d’ouverture, l’organisation avançant le nombre de 50.000 participants et 3.000 visiteurs quotidiens au village du festival, situé au Tri Postal, à deux pas de la gare Lille Flandres pour pas trop égarer les Parisiens. Bien évidemment, Lille n’a pas vécu et respiré au rythme de Séries Mania comme Cannes sera amené à le faire dans les jours qui arrivent. Mais cet épisode pilote donne envie d’en découvrir davantage lors de la saison 2.
Babylon Berlin de Tom Tykwer, Achim von Borries et Henk Handloegten avec Volker Bruch,
Liv-Lisa Fries, Peter Kurth…, diffusion prévue prochainement en France sur Canal+ (16 épisodes)