Pour toute une génération, Miracle Mile était connue sous le titre Appel d’Urgence. Cette pièce de collection était quasiment impossible à trouver en VHS après sa catastrophique sortie salle au tout début des années 90 en France. Nous devions nous contenter d’une notule et d’une photo dans le mythique numéro des 100 meilleurs films fantastiques selon Mad Movies. Son statut culte a ensuite pris une tout autre ampleur d’année en année, se frayant une place non négligeable sur les sites délictueux et décriés de partage de fichiers. C’est d’ailleurs ainsi que nous l’avons déniché dans un premier temps. Sans surprise l’image était de piètre qualité et évidemment inutile de chercher des sous-titres. Il a fallu attendre le 10 aout 2016 pour que toute une nouvelle génération de cinéphiles découvre ce petit bijou de Steve de Jarnatt. Joe Dante, en postant sur Facebook son enthousiasme pour Miracle Mile, a éveillé la curiosité de deux passeurs francophones. Chacun de leur côté, les deux hommes ont remué ciel et terre afin que le public puisse être confronté à cet objet, sans doute, pour la première fois. C’est après que Dante ait crié au chef-d’œuvre que Karim Debbache a eu l’idée d’évoquer Miracle Mile avec ses fans, puis de le projeter en association avec Panic! Cinéma, lors d’une soirée au Forum des images. C’est suite au même post du réalisateur de Small Soldiers que le responsable des acquisitions de Splendor Films, Serge Fendrikoff, a décidé de tout faire pour sortir le long métrage dans de bonnes conditions. Après avoir racheté les droits et programmé un nouveau master, Splendor distribue, aujourd’hui, Miracle Mile dans quelques salles françaises.
Loin d’être un film oublié, Miracle Mile fut un film invisible. C’est ce qui l’a transformé en œuvre culte pour certains cinéphiles, mais également pour les mélomanes. Si Miracle Mile a eu pendant longtemps une telle aura c’est aussi du fait du groupe allemand Tangerine Dream qui en signa la bande originale. On doit à l’équipe d’Edgar Froese d’avoir changé le visage de la musique pop. Elle l’a fait entrer dans l’ère électro (d’autres artistes à la fin des années 60 furent du voyage comme Pierre Henry — qui vient de mourir — ou encore… Les Beatles). La formation germanique a accompagné les plus beaux films américains de la décennie des eighties. On compte parmi eux, The Thieft et The Keep de Michael Mann ainsi que le premier chef d’œuvre de Kathryn Bigelow: Near Dark. Ce faisant, Tangerine Dream a contribué à façonner l’ambiance sonore d’une époque pour un certain public. Ces spectateurs ne se projetaient pas dans l’idéologie de la réussite, de la cocaïne, du fric et de Top Gun (où l’on retrouve l’acteur principal de Miracle Mile : Antony Edwards). Alors qu’émergeait dans les environs de Bristol, en Angleterre, la Wild Bunch et son slogan Glad to be Sad, où musique, machines et cinéma fusionnaient autour de sound systems sauvages, l’Amérique accouchait de Miracle Mile.
la seule puissance du cinéma pour raconter son histoire
Steve Jarnatt à travers ses angoisses enfantines avait sans doute saisi l’air du temps, bien mieux qu’un Tony Scott, bien mieux même qu’une grande partie de son public. Car ce qui marque encore aujourd’hui lorsqu’on fait face au film c’est sa douce mélancolie qui s’en dégage : La naissance d’un amour, à peine, une heure et demie avant l’holocauste nucléaire. À l’instar d’After Hours de Martin Scorsese, Jarnatt assume la simplicité du dispositif emprunté à la dramaturgie théâtrale. En faisant mine de respecter la règle des trois unités, le réalisateur se libère d’une lourdeur logistique qui aurait noyé ses intentions dans le spectaculaire. Il préfère déployer son talent sur la construction de ses personnages, son utilisation du montage et l’art du cadrage. Le jeune metteur en scène croit à la seule puissance du cinéma pour raconter son histoire. L’ensemble est au service du scénario: une réaction en chaine parfois burlesque, parfois dramatique justifiant un retour perpétuel au point de départ : Le Johnny’s Coffee, un snack-bar célèbre pour être le décor de nombreux longs métrages hollywoodiens. C’est à cet endroit qu’Harry va recevoir cet appel d’urgence qui ne lui était pas destiné.
L’idée même de Miracle Mile semble trahir l’aspect profondément personnel du film. Si en tombant sur le scénario, au début des années 80, la Warner a tout de suite cherché à en posséder les droits, la fin désespérée que proposait Steve Jarnatt déconcertait. Le script bien qu’ayant une excellente réputation se retrouva dans les tiroirs du studio : à tel point que le cinéaste décida de tout faire pour racheter sa création. Il ne pouvait accepter que son œuvre soit mise de côté où qu’un tâcheron entreprenne de l’adapter en trahissant le romantisme du projet, ceci, juste pour faire plaisir à Warner. C’est après avoir réussi à se réapproprier son travail que Jarnatt put enfin réaliser son long métrage en toute indépendance. Il fut, alors, aidé par Hemdale — la société de production de Terminator —. Le tournage se déroula sans trop d’encombres et fut le point de départ d’une vraie romance entre les deux acteurs principaux, inconnus à l’époque : Anthony Edwards et Mare Winningham. Mais, bien que salué par la critique, le film se retrouva en concurrence avec le retour d’Indiana Jones et la dernière croisade. Comme The Thing de John Carpenter, qui avait souffert de la concurrence d’E.T., Miracle Mile n’arrivera pas à se relever face au nouveau rouleau compresseur spectaculaire du Golden Boy. Il n’est pas idiot de considérer le récit même du film comme une parabole du parcours du combatant que fut la concrétisation du film, sa réception par le public et sa quasi-disparition.
ne pas avoir réussi à retenir leurs larmes
Miracle Mile n’est pas seulement maudit, culte et pendant trop longtemps invisible, c’est une œuvre qui marque durablement et qui nous interroge, aujourd’hui, plus encore qu’à l’époque. La scène finale où nos deux tourtereaux se proclament une ultime fois leur amour, avait profondément dérangé. Si la direction de Warner rejetait, obstinément, l’idée de tourner une telle scène, c’est la réaction de certains militaires, appelés à la visionner en projection test, qui donne la mesure de la gêne. Certains d’entre eux n’ont pas supporté de ne pas avoir réussi à retenir leurs larmes. En confinant ses deux comédiens dans la carcasse d’un hélicoptère, cadrant uniquement ces visages aimants, le cinéaste impose durablement une image à ses spectateurs. La simplicité de ce plan et la justesse du jeu des acteurs sont la raison du malaise. Il nous paraît impossible aujourd’hui devant ce moment de ne pas songer aux ultimes messages que diffusent les médias suite aux catastrophes contemporaines. Comment ne pas évoquer les appels passés aussi bien des avions, que des tours, un certain 11 septembre 2001. Ou, plus récemment, la dernière correspondance téléphonique de ce jeune couple d’architectes italiens, se sachant condamné par les flammes qui ont ravagé le Grenfell Tower.
Ce qui nous trouble dans cette ultime séquence, ce n’est pas la menace abstraite d’une guerre mondiale détruisant l’humanité, mais ce qu’elle renvoie au public: l’angoisse de sa mort, de sa condition de mortel. La fin de Miracle Mile fait écho à la propre peur du spectateur. La faucheuse, cette inconnue, nous prend toujours par surprise. Nous n’avons, dès lors, pas d’autres choix que de profiter de chaque instant comme s’il s’agissait du dernier et ne pas oublier de dire à nos proches qu’on les aime.
Miracle Mile, de Steve de Jarnatt. Avec : Antony Edwards, Mare Winningham, Earl Boen, Denise Crosby, Robert DoQui, Mykelti Williamson. 1h27. En Salle.