Nos intrépides aventures au Festival d’Annecy : Seuls Two

Et là, vous vous dîtes, mince le narrateur a changé de nom ! Mais non, en fait on a juste changé de narrateur. Car Lucas qui était déjà présent au bord du lac hier a entre-temps été rejoint par votre serviteur, j’ai nommé: moi-même. Vous connaissez le dicton: plus on est de fous, plus on est efficace à couvrir un festival aussi riche que celui d’Annecy. Le FIFA comme on dit ici, avec tous mes potes nerds qui n’ont aucune idée de la signification populaire de cet acronyme.

C’est pour moi un premier festival d’animation d’Annecy en cette édition 2017, et également ma première fois dans cette fort jolie contrée où il faut chaud chaud chaud et où il fait bon bon bon vivre.

Ainsi, après un passage par le lac lundi soir et une petite projection en plein air du toujours sympathique Ballerina aux chorégraphies émoustillantes, on a attaqué les choses sérieuses d’entrée de jeu avec la compétition officielle. Mais je commencerai par passer sous silence la première projection du matin, le film chinois Big Fish and Begonia, puisqu’on a parlé hier et qu’on aimerait en faire un article un poil plus long.

Ethel and Ernest (Film en compétition) :

ON VA PARLER SOCIALISME

Après en avoir pris plein les mirettes face aux visuels baroques et sans demi-mesures du Big Fish and Begonia, mais avoir regretté amèrement cette profusion sans fondement, voir ce petit film britannique semble venir à point nommé.

Ethel and Ernest est à première vue, une œuvre résolument simple. Il s’agit de l’adaptation d’une bande dessinée primée dans les années 90, dans laquelle un auteur raconte la vie banale de ses parents. De leur rencontre en 1928 à Londres jusqu’à leurs morts en 1978, en passant par sa propre naissance en 1934, Raymond Briggs avait promis une histoire emblématique de ce qu’est la petite Angleterre. La voilà donc adaptée au cinéma, et spoiler: avec succès.

Si le film tempère les ardeurs du spectateur en annonçant d’entrée de jeu que la vie de ces personnes est sans intérêt, force est de constater qu’il n’en est rien. Oui, rien de rocambolesque et rien de franchement très dramaturgique. Il n’y pas d’autres fils conducteurs que celui du temps qui passe, ponctué par les moments que connaissent les spectateurs: l’arrivée d’Hitler au pouvoir, la guerre, les raids aériens, le succès du parti travailliste aux élections, la télévision… On retrouve ici ce qui faisait une des grandes qualités de la-série-parfaite-en-tout-point-très-objectivement: Mad Men. Ernest travaille pour la compagnie laitière royale, parce qu’en Angleterre même si ton job est pourri au moins son descriptif pue la classe. Ethel est femme au foyer, et eux deux sont heureux. Ils ne se disputent jamais, ne se séparent pas… Ils vivent une vie somme toute banale.

Sauf que par « somme toute », je voulais plutôt dire « pas du tout ». Parce qu’en vérité, le film transmet par tranches de vie des axiomes qui misent bout à bout forment une… Brioche qui transpire la sincérité, sérieusement cette image est devenue très étrange, mais vous avez quand même saisi l’idée. C’est qu’avec le temps, on s’y attache drôlement à ce couple. C’est un peu comme regarder ses personnages grandir dans Les Sims. I/elles ont économisé de l’argent, i/elles peuvent s’acheter un nouveau sèche-linge tout moderne, on est content et elles aussi.

Cinématraque, sale groupuscule d’islamo-gauchistes

Pourtant cette simplicité cache quelque chose de plus riche encore ; et même l’animation joue avec cette idée. Les traits sont quelque peu grossiers, le style est évasif… Mais avec raison : parce qu’au fond, le réalisateur Roger Mainwood fait de la bande dessinée une œuvre extrêmement politique. ET BAH OUI ON VA PARLER SOCIALISME, y a quoi, pendant un instant t’as oublié que tu lisais Cinématraque, sale groupuscule d’islamo-gauchistes cinéphiles ? Tant pis, mon gars ! Car en effet, au fur et à mesure des évolutions sociales et à travers les discussions des peu éduqués Ethel et Ernest se dessinent des commentaires très marquants sur la pauvreté, la société de consommation et, surtout et avant tout, l’ascension sociale. Oui, quiconque aurait besoin, là maintenant, de préparer un exposé sur Bourdieu, procurez-vous ce film d’urgence, on vous garantit que ça aidera.

Ernest, on l’a dit, distribue le lait dans le quartier. Il est en dessous du seuil de pauvreté, et malgré tout il peut acheter une maison. Sa femme rêverait souvent de mieux, mais la société ne le permet pas. Puis le parti travailliste arrive au pouvoir, et les choses changent… Un peu. Mais là où tout s’entrechoque, c’est lorsque le petiot décide d’aller dans une école d’art. Pensez-vous, le mioche a eu la chance d’être sélectionné pour aller au lycée déjà ! Sa mère le pavanait face à la voisine, dont le fils n’a pu qu’être maçon. Et là, il décide de tout planter pour devenir artiste ? Mais comment va-t-il payer son loyer, et ça n’est pas un vrai travail tout de même ? A entendre les éclats de rire dans la salle, il semble clair que nous tous.tes ici avons eu des parents comme ça. Qui s’inquiètent des inconnus que s’apprêtent à braver leurs petits. Le film était taillé pour le public du festival d’Annecy, pour les gens comme moi dont les aspirations professionnelles sont incohérentes avec leurs origines.

C’est comme cela que le film émeut: il est honnête. Et en cela, il ressemble au cinéma de Mike Leigh, en plus tendre encore. Dans sa succession de vignettes sans autre ordre logique que celui du temps et du récit autobiographique, il surprend et touche parce qu’il nous parle sans faux semblants. Et ce jusqu’à la mort des parents présentée sans la moindre pudeur. Ethel et Ernest a déjà connu un franc succès en Angleterre, espérons qu’il fasse de même lors du festival.

comme un signe: personne ne jeta d’avion

Téhéran Tabou (film en compétition):

QUE DU FUN

Après une vague errance dans l’espoir de croiser Guillermo del Toro acheter une glace, on retrouve le chemin des salles obscures pour un autre film en compétition, et attention la déprime arrive à grands pas. Cette fois, comme un signe, personne ne jeta d’avion en papier en direction de l’écran en attendant le début de la séance (grande tradition du festival, tous des gamins franchement), comme si nous savions tous.tes que l’ambiance n’y serait pas. Tout commence par une séquence ultra violente dans son idée: une jeune femme se prostitue dans un taxi. A l’arrière, son enfant muet fait des bulles de chewing-gum tandis que sa mère tente désespérément de faire bander le chauffeur. Quand ça part comme ça, tu sais que c’est mal barré pour la suite. Téhéran Tabou montre comme son nom l’indique, et en utilisant l’animation comme moyen de filmer l’inmontrable, tout ce qui fait la noirceur de la société ultra religieuse et sexophobe. Plusieurs histoires se croisent: une femme enceinte inquiète après deux fausses couches, une prostituée qui tente d’offrir une éducation à son enfant, une jeune fille à marier qui cherche à reconstituer son hymen pour ne pas se faire jeter… QUE DU FUN.

Les hommes dans cette œuvre sont tous monstrueux, pathétiques ou minables et parfois les trois en même temps. Cela rappellera à quelqu’un ce film que l’on nomme « La Vraie Vie » où les hommes sont monstrueux, pathétiques ou minables et parfois les trois en même temps.

Bref, vous l’aurez compris, Téhéran Tabou est dur. Et c’est à un point où on s’interroge sur la nécessité de son propos. Au fond, on peine à voir le but derrière une telle entreprise, car au-delà du choc, il n’y en a malheureusement pas grand-chose à retenir: trop de ficelles narratives flagrantes, trop de superflus, trop de confusion… Difficile d’en faire un bilan positif. Qui plus est, l’animation manque cruellement d’intérêt. On dirait qu’on a simplement postérisé des prises de vues réelles…

D’ailleurs, on me fait signe dans mon oreillette que c’est le cas. Dommage.

20 h 30, la salle était chaude bouillante pour accueillir, l’équipe du tant attendu Mutafukaz, adapté de la BD du même nom. Pour leur second long-métrage Ankama Animation a fabriqué la série avec le japonais Studio 4 ° C. Guillaume « Run » Renard, créateur de la bande dessinée coréalise le film avec Shojiro Nishimi qui avait participé au succès des chef-d’oeuvres Amer Beton et Mind Game. On retrouve dans Mutafukaz ses design de personnages secondaires aux lignes claires et cassées, et un travail remarquable sur les décors, le film foisonnant de détails. Après 7 ans de fabrication entre Tokyo, Los Angeles et le Nord de la France, Run réussit à traduire à l’écran le style de sa BD, donnant plus que jamais aux deux perso principaux une dégaine d’artoys vivants.

L’histoire est la même que dans le comics. À la suite d’un accident de scooter provoqué par la vision d’une mystérieuse inconnue, Angelino, un bon à rien comme il y en a des milliers à Dark Meat City, commence à avoir de violentes migraines accompagnées d’étranges hallucinations. Avec son fidèle ami Vinz, il tente de découvrir ce qui lui arrive, alors que de menaçants hommes en noir semblent bien déterminés à lui mettre la main dessus. On retrouve tous les éléments qui faisaient le sel de la BD. Run affiche avec amour toutes ses influences de la culture west coast, le hip-hop, en passant par les catcheurs mexicains, l’animation américaine et japonaise, science-fiction old school, un ensemble très nostalgique de ce qui a pu faire kiffer toute une génération dans les années 90.

Ce galérien de Lino

Run réunit tout ça dans Mutafukaz accompagné de la douce musique de The Toxic Avenger qui vient nous tabasser les oreilles, si bien que le film lancé sur les chapeaux de roues, nous uppercut pour nous laisser groggy d’entrée. Les effets avec titres qui s’affichent sur l’écran scandé en off par les héros se multiplient et l’on cite même ses références directement comme après une course poursuite où le sidekick s’exclame « hey, mais vous vous êtes cru dans GTA ou quoi ? ». Par ailleurs, il est assez facile de voir vers quoi se dirige le scénario sur fond de complotisme. Sans grande subtilité, le scénario pousse les curseurs à fond pour faire de Dark Meat City le pire reflet de notre société. DMC vit de la haine et tristesse de ses habitants sur laquelle capitalisent les plus riches, la course à l’information est perpétuelle et tout le monde est un terroriste potentiel.

La société est pourrie, les gens tous plus cons et méchants que leurs voisins, c’est la loi du plus fort. Difficile pour le personnage principal d’y voir un avenir. Lino est l’archétype de l’éternel looser à qui il manque quelque chose dans sa vie. Pour l’incarner qui de mieux que leurs plus modernes représentant ? Orelsan et Gringe, à peinent débloqués de leur canapé, prêtent leurs voix qui viennent contraster avec l’aspect cartoon de leurs personnages. L’ensemble est assez chaotique et ne cache pas son ambition d’immense fourretout, le style dynamique de la réalisation permet de tenir jusqu’à la fin. Si la première moitié fait craindre le pire pour la suite du film, la sauce commence à prendre dans la deuxième partie lorsque Lino en apprend plus sur son passé mystérieux. La construction personnelle du héros se fait sur fond d’enjeux climatiques on ne peut plus d’actualité. On espère que le film, encore sans distributeur, trouvera son chemin vers les salles malgré sa violence très graphique.

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