Ce jeudi soir s’est refermée l’édition 2017 de la Semaine de la Critique, qui a offert un palmarès solide consacrant l’Ava de Léa Mysius, Gabriel et la Montagne de Fellipe Gamarani Barbosa et surtout Makala d’Emmanuel Gras, consacré par le Grand Prix du jury. Trois films exigeants et de grande qualité dont le triomphe ne suscite pas l’ombre d’une contestation, loin du choix nettement plus contestable de l’an dernier, où Mimosas (somnifère d’une heure et demie produit par Julie Gayet) avait inexplicablement triomphé de Grave (phénomène du cinéma de genre français contemporain produit par Julie Gayet).
En clôture de cette saison, la compétition dirigée par Charles Tesson se donnait un petit air de Sundance avec ce Brigsby Bear, présenté en cérémonie de clôture. Casting XXL alliant stars chevronnées (Greg Kinnear, Claire Danes et surtout Mark « Larry Skywalker » Hamill) et talents comiques méconnus à l’exception des américanophiles les plus aguerris (Matt Walsh de Veep, Michaela Watkins actuellement dans l’excellente Casual), le film proposait surtout une fusion des plus alléchantes sur le papier entre quelques-unes des forces les plus hype de l’humour US. Co-produit entre autres par le tandem Phil Lord/Chris Miller et par le Lonely Island d’Andy Samberg, le film est également le terrain de jeu du duo Dave McCary/Kyle Mooney, réalisateur et acteur principal.
Amis d’enfance, les deux hommes se sont révélés sur Youtube sous le nom de Good Neighbor, qui leur a ouvert les portes du Saturday Night Live en même temps que le troisième larron du groupe, Beck Bennett. Mooney et Bennett en tant que membres du casting, McCary en tant que réalisateur de sketchs, ils sont aujourd’hui des piliers de la vénérable institution de NBC comme le furent en leur temps les papas de Dick in the Box et I Just Had Sex.
Une telle synergie de talents parmi les plus influents dans leur domaine actuellement ne pouvait qu’être prometteuse, surtout quand elle s’aventure dans un chemin comme celui de Brigsby Bear. Car les fans de la patte caractéristique de Mooney, comique downbeat qu’on peut associer au mouvement mumblecore, spécialiste des sketchs lo-fi fauchés à l’esthétique home movie revendiquée (mettez-vous à jour sur les anglicismes, hein, on vit dans une start-up nation je vous rappelle), ne seront pas dépaysés par la démarche. Avec cette forme de candeur, celle de l’humoriste débutant qui filme ses premiers sketchs en DV dans sa chambre, Mooney se confronte ici à un personnage à la fois d’une gaucherie innocente mais aussi d’une profonde mélancolie.
Sound and Vision
James est un jeune homme qui vit aux côtés de ses parents dans un bunker reclus dans le désert. Isolé du reste du monde, le garçon grandit avec pour seule passion la série pour enfants Brigsby Bear, dont il collectionne religieusement aussi bien les épisodes que les jouets à son effigie, tout en alimentant un forum de fans dont il est le créateur. Sauf que Brigsby Bear n’a jamais été une vraie série, et que James est en réalité le prisonnier de deux kidnappeurs qui l’ont enlevé à ses parents naturels des années plus tôt. De retour dans sa famille biologique, il va devoir réapprendre à vivre dans le vrai monde.
Si l’esthétique globale du film rappelle évidemment, dans sa partie « Brigsbybearienne », le bricolage suédé du Be Kind, Rewind de Michel Gondry, le film de McCary aborde un autre terrain quand il s’agit d’évoquer le traumatisme de son héros. Avec cette fois-ci deux autres références de choix, dirigées par le même réalisateur : Lenny Abrahamson. Tout comme le jeune Jack de Room, James est un garçon qui a grandi dans une bulle hermétiquement isolée du monde. Et tout comme le Michael Fassbender de Frank, son obsession pour une figure fictive dans laquelle il se projette aussi bien physiquement que mentalement lui faire perdre prise avec le réel. Personnages parmi les plus émouvants que le cinéma indépendant américain nous a offert ces dernières, ces (petits ou grands) enfants cassés, incapables ne serait-ce que de percevoir la réalité comme nous la percevons, sont chacun des propositions de cinéma d’une force ravageuse.
On rit beaucoup dans Brigsby Bear, mais d’un rire qui se charge quasiment tout le temps d’une charge émotionnelle au moins importante. Chaque maladresse de James arrache un sourire teinté de compassion, grâce à l’interprétation toute en subtilité minimaliste de Mooney. Look hippie et yeux de rêveur grand ouvert, l’acteur apporte une humanité à son double de cinéma qui laisse poindre son absence totale de repères sans jamais l’alourdir de psychologismes larmoyants.
The Stuff that Dreams are Made Of
La grande idée du film est de faire de Brigsby, l’emblème même de la fausseté du monde dans lequel James a grandi, le seul véritable repère capable de faire la transition et de réapprendre à vivre après le traumatisme. Cet ours en peluche géant aux traits d’une grande douceur aurait pu se muer en Mister Hyde inquiétant (un peu comme les ours mécanisés flippants des jeux vidéo Five Nights at Freddy’s), il devient en réalité l’alpha et l’oméga de la réconciliation de James avec son présent.
Les cyniques pesteront sans doute quant à une vision trop angélique du monde (ce qui peut se comprendre), là où les autres y verront avant tout un conte moral et une leçon métaphorique qui peut trouver son application dans notre monde. Brigsby Bear est surtout une formidable déclaration d’amour à la création, à l’évasion et à la poésie, portée par une foi quasi spielbergienne (Spielberg est un fan de Good Neighbor depuis leur parodie perchée de Hook, Unbelievable Dinner) dans le pouvoir de l’imagination.
Difficile de faire meilleur épilogue pour une sélection que ce Brigsby Bear, son hymne universel au cinéma DIY et sa douceur Amblinienne. Pour leur passage au long-métrage de fiction, McCary et Mooney réussissent à transposer leur patte avec brio avec un film aussi drôle que poignant, plus profond que son apparente désinvolture ne le laisse paraître. Un film, pour reprendre les mots de son héros, « dope as shit » !
Brigsby Bear de Dave McCary avec Kyle Mooney, Mark Hamill, Claire Danes…, 1h40