Noces : Uppercut en mousse

En parcourant les critiques sur le troisième film « coup de poing » (Le Figaro), « tranchant » (L’Express) et « délicat » (Télérama) de Stephan Streker, j’ai à la fois l’impression d’avoir raté quelque chose… et une envie curieuse de savoir ce que peut être un coup de poing tranchant et délicat.

Oui, Noces est déjà un succès, et j’ai l’impression d’avoir raté le train en marche. La même que celle de de n’avoir plus d’abonnement Navigo, de m’être fait planter sur BlablaCar, et autres images véhiculées. Car ce portrait de jeune femme belgo-pakistanaise n’a qu’une seule audace :

celle d’être affreusement convenu.

Laissez moi vous expliquer : Jusque là, tout le monde me suit, les portes ouvertes sont enfoncées. Mais il va falloir que je parle du film. Sauf que pour ça, il faudrait commencer par un petit résumé… et là on se trouve face à un vrai problème. Voici le petit synopsis du dossier de presse : « Zahira, belgo-pakistanaise de dix-huit ans, est très proche de chacun des membres de sa famille jusqu’au jour où on lui impose un mariage traditionnel. Écartelée entre les exigences de ses parents, son mode de vie occidental et ses aspirations de liberté, la jeune fille compte sur l’aide de son grand frère et confident, Amir. »

Noces… c’est un film facile.

On reviendra sur les enjeux, réussites et échecs de cette histoire un peu plus bas. D’abord, parlons de ce qu’il manque dans ce petit résumé… à savoir à peu près un tiers du film !

Oui, parce qu’en fait : dans la première scène du film Zahira se renseigne, auprès d’une clinique, sur l’avortement. Apparemment, la direction marketing n’a pas jugé important de parler de ce qui est sans aucun doute la meilleure partie du film ; le conflit interne d’une jeune fille croyante, qui vit un déchirement total entre sa tradition et son éducation. Déchirement qui l’affecte mentalement et physiquement, du coup, puisque bah, on parle d’avortement. Et sur ce point, je suis entièrement d’accord avec les critiques susnommés ; dans toutes ces séquences, Stephan Streker propose une vision juste sans jugement. Le résultat, c’est une empathie inévitable pour Zahira, que Lina el Arabi interprète brillamment.

Là, c’est le moment où on enchaîne avec un « mais », histoire de montrer qu’on a bien potassé ses cours de rhétorique.

La scène qui ouvre le film – et qui rappelle la dureté d’une mise en scène à la Asghar Farhadi par son refus total du contrechamp – est bouleversante. Les suivantes, à la cliniques, sont tout aussi juste, tout aussi touchantes… cependant, il est possible d’éprouver quelques regrets au visionnage de ces séquences. En effet, si l’avortement peut difficilement être imaginé comme autre chose qu’un traumatisme (et dans Noces, le contexte religieux ajoute un poids indéniable), certaines mouvances féministes s’inquiètent d’une représentation toujours aussi catégorique de l’avortement. Parmi leurs arguments, l’idée que cette vision des choses est souvent reprise par la suite par les opposants à ce droit inaliénable. Que l’on soit d’accord ou non la question mérite d’exister. Cela prouve bien la nécessité d’un cinéma qui évite toujours la facilité, qui sera capable d’innover plutôt que de répéter, de surprendre avec une paire du ciseaux (ceux qui ont vu Grave, pardon pour cette image mentale) plutôt que de brosser dans le sens du poil. La nécessité d’un cinéma qui accueille encore plus de femmes qui parlent de femmes, surtout sur un tel sujet. Insérer ici référence à Mustang, parce que Mustang ça déchire.

Et c’est ainsi que l’on trouve la clé pour saisir ce qui, vraiment, ne va pas dans Noces… c’est un film facile.

Parce qu’excusez-moi, proposer un film qui développe l’idée que les mariages arrangés sont inhumains et cruels, c’est de mon point de vue de spectateur européen, pas vraiment un coup de poing. Qui parmi les spectateurs va aller voir Noces en pensant que c’est trop bien de forcer une fille à épouser un type dans un pays qu’elle ne connait même pas ? Qui va ressortir en se disant que sa vision des choses a bien changé maintenant ? Personne, dit-il en répondant à une question rhétorique, parce qu’il n’a pas forcément tout bien retenu de ses cours. Un vrai coup de poing serait de parler de cultures où le mariage arrangé n’est pas perçu comme barbare ; rien que d’en parler ça hérisse le poil. Ou alors, il faut faire Mustang. Qui est un meilleur film, et qui en parle mieux.

lorsqu’on utilise la fameuse règle du « Fusil de Tchekov », on peut éviter de prendre le spectateur pour un extraterrestre

Bien sûr, et heureusement, le film parvient à prendre tout cela avec distance, c’est vrai. A montrer au spectateur sans trop juger, les réactions terribles de la famille lorsque Zahira fuit pour éviter ce mariage arrangé. Le père souffre tant de cette trahison qu’il en finit hospitalisé. Mais c’est surtout le frère de Zahira que l’on observe dans sa déconstruction tragique. Comme sa sœur, il a un pied dans chaque culture, et est plus à même de la comprendre, et c’est ce qui rendrait la fin du film réussie — c’est-à-dire dérangeante — si elle n’était pas, encore une fois, aussi facile.

une telle histoire mérite un meilleur scénario

Ce sera mon dernier reproche : une telle histoire mérite un meilleur scénario. Un texte qui permettrait des ambiguïtés, pas une affreuse compilation de clichés et de trucs tout droit tirés de manuels de scénario pour débutants. Et attention, je ne critique pas les manuels de scénario pour débutants : c’est simplement que lorsqu’on utilise la fameuse règle du « Fusil de Tchekov », on peut éviter de prendre le spectateur pour un extraterrestre qui n’a jamais rien vu de sa vie et faire un effort pour déguiser les artifices, afin de nous faire croire ne serait-ce qu’un instant à la tragédie.

Le sujet est trop sérieux pour se permettre des facilités, et nous sommes en droit d’exiger mieux. Pour cela, il serait injuste, malhonnête et Noces sans lui asséner un coup de matraque… tranchant et délicat.

Noces, de Stephan Streker, avec Lina El Arabi, Sébastien Houbani. Sortie le 22 février.

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