Spectateurs, amoureux du cinéma ou néophytes si vous entamez ces lignes, soyez prévenus, vos repères risquent d’être mis à mal. Le film en question ne se base sur aucun livre de notre enfance, il n’est pas l’adaptation d’une série télévisée qui fait le buzz. Encore plus étonnant, il ne passe pas son temps à nous ramener à notre quotidien ou à nous assaillir de clin d’œil et coups de coude comme un trop grand nombre de productions récentes. Le film ne vise aucun public cible puisqu’il exprime des vérités universelles sur ce qui fait les individus. Il s’agit pour cela d’un plongeon, une immersion totale dans un récit unique, un monde à découvrir, riche.
C’est à cette exigence que nous avait habitués le studio Laïka.
C’est à cette exigence que nous avait habitués le studio Laïka. En l’espace de 10 ans, le studio d’animation est passé de petite société prometteuse à véritable phare pour ses pairs. L’industrie, en berne, se retrouve en effet au cœur d’une tempête tropicale. Dès son premier long-métrage, Laïka a du assumer cette position. Avec Coraline, le visionnaire Henry Selick nous offrait un conte de fées moderne et macabre à travers lequel il s’adressait avec beaucoup d’intelligence aux plus jeunes pour leur parler d’adolescence. Déjà à l’époque nous étions frappés par la beauté du message, par la technique employée, et une animation en volume, en stop-motion, de laquelle naissait la poésie. (Pour l’anecdote, le film devait initialement se faire sur ordinateur à l’image du cout-métrage Moongirl, qui avait servi de test à Coraline. Mais au début du développement, Travis Knight décida d’opter pour le stop-motion. Une excellente initiative : Malgré un beau rendu Moongirl demeurait cruellement fade et désincarné). Le studio réitèra l’exploit avec un second long-métrage, Paranorman de Sam Fell et Chris Butler. Ce thriller horrifique, aux allures de simple hommage à un certain cinéma s’amusait avec aisance à créer des ruptures de ton. Mais il réussissait aussi à insuffler un propos subtil et tendre, à l’aide de son scénario, mais avant tout grâce à l’intelligence de ses cadrages. Ce qui n’était que germes dans Coraline irradiait enfin l’écran. Jamais deux sans trois, c’est à partir des Boxtrolls que l’on pourra parler de véritable signature artistique. Leur long-métrage le plus faible, offrant malheureusement l’amplitude émotionnelle la moins large. Le film, pourtant, n’en demeurait pas moins une fable à la Dickens où le fromage se faisait la métaphore de l’argent aliénant les classes sociales. Le film continuait, également, à creuser un peu plus le sillon d’un cinéma atypique, un regard doux amer sur l’enfance, ainsi qu’une grande liberté dans la représentation des adultes se montrant incapables de hisser leur descendance vers le haut.
Le studio fascine, aussi, par sa volonté à mettre en avant les talents et l’investissement collectif d’une équipe quasiment inchangée depuis ses débuts. On retiendra, surtout, le fruit de leur travail acharné en recherche technique pour faire avancer l’animation moderne. Ils se sont vu, à ce titre, décerner deux Oscars dans ce domaine ces deux dernières années. Ces récompenses soulignent leur incroyable avancée dans l’animation en volume depuis qu’ils adoptent le prototypage rapide, un procédé qui a bouleversé radicalement l’industrie. Animateurs et réalisateurs sont, ici, les héritiers modernes des traditions orales des passeurs d’histoire. Ensemble, ils nous rappellent que le cinéma peut être vu comme l’une de ces formes les plus récentes. C’est cette envie de raconter des récits qui est au cœur même du dernier film de Laïka, Kubo et l’armure magique. On perçoit un désir évident à célébrer son art tout en repoussant ses limites, en plaçant en exergue le besoin essentiel et humain de conter des histoires à travers la sienne. Une magnifique mise en abîme qui permet de remonter à l’enfance de l’art, aussi bien aux marionnettes en bois qu’aux premiers travaux cinématographiques de Méliès, Harry O. Hoyt, Merian Caldwell, ou George Pal.
Kubo est lui aussi un conteur. Il vit dans une grotte perchée sur les hauteurs d’une falaise auprès de sa mère malade dont il s’occupe. Le jeune garçon aime descendre au village de pêcheurs pour leur raconter des histoires en les illustrant de personnages en origamis qui prennent vie au son de son Shamisen. Il va sans le savoir réveiller une force ancestrale qui va faire s’abattre sur le village, le courroux de mauvais esprits. Dans sa fuite, il va faire équipe avec un singe et un scarabée samouraï. Ensemble, ils vont tenter de récupérer l’armure magique, l’épée et le heaume de son père, le plus grand samouraï que le monde ait connu, afin de percer le mystère de son héritage. Alors qu’il pensait maitriser son histoire, Kubo est malmené par le récit. Cela va l’obliger à prendre en main ces légendes, et devenir lui-même le moteur de la sienne, et accorder ses acolytes à sa volonté pour aller de l’avant. Le film interroge de nombreux thèmes comme la filiation, l’héritage, la disparition des proches, la recherche de soi et du courage. Il questionne aussi l’importance de la mémoire, puisque les souvenirs des parents de Kubo l’accompagnent, lui venant en aide dans sa quête. Comme toujours chez Laïka, des adultes faillibles et des enfants braves n’en demeurent pas moins au bord de l’effondrement psychologique.
Le casting vocal parfait donne, aussi, une véritable âme aux marionnettes.
L’ampleur émotionnelle est gigantesque, les histoires racontées deviennent ici littéralement un besoin vital pour l’être humain. Par ailleurs, le film ne s’adresse pas forcement aux plus jeunes qui pourront être décontenancés par l’apparente noirceur formelle, mais surtout par la dimension philosophique et spirituelle qui parcourt le film, mais ne manquera pas de les y sensibiliser. D’entrée, le personnage de Kubo apprend comment il a perdu son œil, le préparant ainsi à la violence du monde adulte, mais également à se méfier de sa famille. Le studio distille des idées, des pensées qui peu à peu font sens dans l’immense fresque qui se construit sous nos yeux. Rien n’est laissé au hasard, et pas un seul élément présent au scénario n’est là sans être justifié. Du villageois, aux acolytes de Kubo, le singe et le scarabée, sont bien plus que de simples sidekicks rigolos. Les personnages ont de vrais arcs narratifs, tout en nourrissant l’histoire de Kubo. Le casting vocal parfait donne, aussi, une véritable âme aux marionnettes.
Merveille visuelle, le film réussit à nous capter dès la première image, et sa fraicheur vient également de notre interrogation constante sur le comment de ce qui se déroule sous nos yeux. Le mariage entre la stop-motion et les effets en CGI s’opère parfaitement, d’autant plus que le studio semble ne reculer devant aucune difficulté. Il multiplie les scènes dans la neige, la mer, mais aussi avec des différences d’échelles délirantes, ainsi qu’une profusion de détails qui viennent nourrir la rétine du spectateur émerveillé tout le long du film. L’équipe maintient en même temps une fluidité parfaite des images, alors que des dizaines d’éléments s’animent à la fois dans le cadre. Ce souci de perfectionnisme, de l’importance du moindre détail va de pair avec l’ampleur souhaitée par le film et les défis relevés. Comment, par exemple, animer des milliers de feuilles d’érable, ou donner vie à la plus petite et la plus grande marionnette ? Comment réaliser un tableau familial intimiste couplé à une ampleur épique à la David Lean, ceci en assumant ses influences visuelles allant de Hokusai à Kiyoshi Saito en passant par les techniques manuelles et les imprimantes 3D, origamis et autres marionnettes traditionnelles ?
Le film pense avant tout à son histoire plutôt qu’aux réactions souhaitées par son public. Ces qualités peuvent paraître évidentes, mais elles sont si rares qu’il est important de le souligner. Retenons, l’équilibre parfait entre la puissance industrielle des moyens engagés par l’entreprise ainsi que l’ambition mondiale qui l’accompagne. À cela, rajoutons le savoir-faire artisanal, qui donne à l’œuvre une dimension encore plus humaine dès lors que la main de l’homme intervient entre chaque image de chaque seconde du film. La technologie de pointe s’invite alors pour accompagner ce geste ancestral : donner vie à une marionnette.
Laïka propulse l’animation dans un registre inédit jusqu’alors
Avec Kubo et l’armure magique, le studio Laïka propulse l’animation en volume dans un registre inédit jusqu’alors. En assumant, d’ancrer leur dernière œuvre dans la tradition tout en y injectant d’incroyables expérimentations, le projet impressionne. Au vu de la réalité économique du marché, un film d’une telle ampleur se bâtit constamment à l’ombre d’un potentiel désastre financier qui mettrait à mal le studio. Dans son combat permanent, sa recherche de renouvellement, Laïka, montre une nouvelle fois avec Kubo et l’armure magique qu’une lueur d’espoir scintille encore dans le brouillard créatif actuel.
KUBO ET L’ARMURE MAGIQUE, Travis Knight avec les voix de Art Parkinson, Charlize Theron, Matthew McConaughey, Rooney Mara et Ralph Fiennes. 1 h 42. 2016
Je préfère quand-même Coraline. Mais Kubo, c’est très bien aussi : http://marlasmovies.blogspot.fr/2016/09/kubo-et-larmure-magique-la-nuit-des.html