Le Client d’Asghar Farhadi

Retour ne rime pas avec régression. Après Le Passé, son film français avec Bérénice Béjo, qui restera comme une parenthèse dans son œuvre, Asghar Farhadi revient en Iran pour Le Client et retrouve d’emblée la puissance symbolique et l’intensité dramatique de ses films iraniens (Les Enfants de Belleville, la Fête du feu, A propos d’Elly et Une Séparation). Chez Farhadi, le thriller psychologique atteint des sommets sans avoir besoin de recourir à des arguments aussi rebattus que le sexe ou la violence : tout passe par le point de vue des personnages et leurs dialogues réglés avec une maestria sans pareille, sans recherche aucune du mot d’auteur.

Le Client permet de retrouver deux habitués de la troupe d’Asghar Farhadi, Shaham Hosseini et surtout Taraneh Allidousti, tous les deux absolument remarquables. On a l’habitude de vanter les mérites de Golshifiteh Farahani, l’actrice exilée d’Iran, mais l’âme des premiers films de Farhadi est sans doute la belle Taraneh Allidousti qui illumine à nouveau de sa présence inquiète Le Client. Rappelons enfin que Farhadi est, contrairement aux apparences, un jeune metteur en scène : il n’a que 44 ans ; il a commencé son œuvre à l’âge de 30 ans et Le Client représente seulement sa 2ème sélection en compétition au Festival de Cannes, où Le Passé avait longtemps fait figure de favori face à La Vie d’Adèle en 2013.

Salesman

Dans Le Client, contraints de quitter leur appartement du centre de Téhéran en raison d’importants travaux menaçant l’immeuble, Emad et Rana emménagent dans un nouveau logement. Un incident en rapport avec l’ancienne locataire va bouleverser la vie du jeune couple.

En quoi consiste le système Farhadi ? Ce système peut se résumer en quatre points :

1) Une ellipse géniale. Dans Une Séparation, on ne voyait pas certains éléments-clés de l’intrigue, ce qui nous faisait nous interroger sur ce qui s’était réellement passé. Dans Le Client, Rana ouvre sa porte en appuyant sur l’interphone en croyant l’ouvrir à son mari. La porte reste ouverte, de manière angoissante. On ne verra pas ce qui se passe après. La circonstance la plus importante de l’intrigue ne sera jamais montrée mais rapportée ou discutée oralement, selon les points de vue des différents personnages, posant magistralement la question de la recherche de la vérité et de son aspect pirandellien.

2) Une irrésolution de l’intrigue. On finira par savoir ce qui s’est réellement passé, mais deux aspects de l’intrigue demeureront irrésolus : la mort ou non d’un des personnages principaux du film ainsi que l’état de la relation de couple d’Emad et de Rana. Au spectateur de se faire sa propre opinion, le film lui donnant à la fin de maigres indices à ce sujet, ceci étant propice à des discussions sans fin.

3) Un miroir de la société iranienne. Dans Une Séparation, le conflit entre le père et la mère reflétait la différence de conception du mode de vie des Iraniens, l’un plus traditionnaliste, l’autre plus ouvert aux influences occidentales. Cet effet-miroir était doublé par la comparaison avec un autre couple de classe sociale inférieure. Dans Le Client, cette comparaison entre deux classes sociales différentes apparaît dans la dernière demi-heure du film : l’une, plus bourgeoise et cultivée, enseignant dans un lycée et jouant au théâtre une pièce d’Arthur Miller, l’autre faisant des déménagements et des transports de bien par une camionnette.

4) Chez Farhadi, les apparences ne sont pas ce qu’elles paraissent. Le moindre détail compte : une tache de sang sur une chaussette, de l’argent dans un tiroir, etc. Le spectateur mène l’enquête de la même manière que ses personnages, ses sens étant délibérément appelés à l’éveil par la narration. A travers une intrigue de thriller, c’est à une recherche de la vérité au sens le plus noble à laquelle il nous convie.

Dans Le Client, au fur et à mesure du film, on se demande si, au départ, tout allait si bien que cela dans le couple d’Emad et Rana, et si l’agression dont elle sera victime n’aura pas servi à révéler un malaise dans leur relation. Cet état de fait donnera lieu à la séquence absolument formidable, entre les rires et les larmes, du dîner de pâtes où la nature de l’argent utilisé finit par corrompre toute bonne nourriture. De la même façon, la puissance de la mise en scène de Farhadi dépasse l’écriture déjà brillante de son scénario, lors de la dernière demi-heure, où Emad découvre l’identité d’un suspect potentiel, dans une séquence de dix minutes, tout simplement d’anthologie. Comme souvent, il s’agit de la personne qu’on est le moins préparée à soupçonner, le procédé rappelant beaucoup la fin de La Jeune fille et la mort de Roman Polanski.

On pourra peut-être critiquer le côté trompeur de la mise en abyme par la pièce de théâtre Mort d’un commis voyageur, qui semble un peu artificielle et inutile au début du film. Néanmoins cela constitue un trompe-l’œil pour que Farhadi nous embarque sans crier gare dans un drame humain des plus poignants sur la fidélité, la conception de l’amour et le pouvoir corrupteur de l’argent. Porté par des interprètes tous au diapason, Le Client interroge et bouleverse, ce qui relève indéniablement de la nature philosophique et émotionnelle du cinéma.


Gaël Sophie Dzibz Julien Margaux David Jérémy Mehdi
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Le tableau des étoiles complet de la sélection à ce lien


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Un film d’Asghar Farhadi avec Shahad Osseini et Taraneh Allidousti.
Le film sortira sur les écrans français le 2 novembre 2016

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