Les filles au Moyen-Age : Le Père, le Fils, la Saint Esprit, et Darty

Après son premier long-métrage Artemis Coeur d’Artichaut sorti en 2013 et récompensé au festival de Brive, Hubert Viel poursuit son projet cinématographique : proposer une liberté de ton absolue en se réappropriant l’Histoire et en mettant en lumière des personnages féminins hors du commun — et quand ce n’est pas un personnage particulier, c’est bien « la » femme que le réalisateur cherche à glorifier. Pour faire simple, si Beyoncé était Dieu, Hubert Viel serait son frenchy prophète intello Nouvelle Vague et Les Filles au Moyen Âge de quoi prêcher la bonne parole (c’est-à-dire Who run the world ? GIRLS).

Tout part ici d’une après-midi pépouz dans une zone résidentielle : les garçons sont absorbés par un jeu vidéo qui se déroule au Moyen Âge, moment crucial de réflexion afin de savoir s’ils doivent kidnapper et revendre une femme pour avoir de quoi s’acheter une arme supplémentaire ; les filles aimeraient quant à elles jouer au Moyen Âge dans la « vraie » vie, parce que c’est quand même plus rigolo. Deux mondes. Les filles retrouvent Michael Lonsdale en père Castor et sweat à capuche, interprétant le grand-père de l’une d’elles. Elles lui expliquent qu’elles auraient aimé tenir le rôle de diablesses maléfiques, des potiches somme toute. Père Castor n’en revient pas et souhaite alors rectifier leur connaissance du sujet.

Car oui, LES FEMMES ÉTAIENT SUPER BADASS (enfin, elles avaient juste le « droit » d’avoir les mêmes métiers que les hommes, droit qu’elles perdirent par la suite, restons tranquilles). Et c’est cette réalité historique oubliée depuis la Renaissance, bien qu’elle durât près de 1000 ans, que Michael Lonsdale va conter, à travers trois grands chapitres constitués de petits sketchs interprétés par les enfants eux-mêmes. Le premier chapitre commence en 429 et le dernier se termine en 1429 (pour info Régine naît 500 ans plus tard ; coïncidence ? Je ne pense pas). De cette traversée du temps, Viel isole des moments phares du girl power médiéval : La révélation de la Vierge Marie comme étant le véritable Saint-Esprit mais aussi la création et la gestion des hôpitaux ainsi que des écoles par les femmes. Mais aussi les découvertes concernant la gravité par l’incroyable femme de lettres, Hildegarde qui fut toute à la fois religieuse et scientifique : Eh oui, Newton n’est pas le premier à avoir parlé de cette notion. La gent féminine avait également la mainmise sur les hommes avec ce qu’on appelle « l’amour courtois » : Comme ils ne pouvaient rien leur refuser, elles les envoyaient faire des courses à droite et à gauche (autrement dit, au superma-quête du Graal). On réalise qu’en effet, au Moyen-Âge, la société française tournait beaucoup grâce et autour des femmes.

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Tout se gâta au XVe siècle, en conséquence de la guerre de Cent Ans, quand Charles VII se méfia de l’influence de Jeanne d’Arc et deux personnages/concepts firent leur apparition auprès des sphères de pouvoir : l’avidité/libéralisme avec Jacques Coeur et la frivolité avec Agnès Sorel. Viel souligne très intelligemment cette évolution, qui se terminera sur une vraie rupture, en s’essayant au mockumentary, c’est-à-dire avec la voix off qui s’adresse directement aux personnages pour leur demander leurs impressions : le début de la télé-réalité et de ce qu’elle engendre, superficialité, vanité, narcissisme, voyeurisme, Kardashianisme, etc.

Comme ce film n’est pas seulement une vraie œuvre pédago-didactico-ludique mais également un conte, il revêt une forme très accessible pour tous. La réalisation est d’une douceur remplie de naturel ; par ses décors (des forêts et des châteaux d’un bucolique qui émoustilleraient plus d’un Stéphane Bern et Noël Mamère), et par ses interprètes, qui « jouent » au Moyen Âge. Le ton est justement ironique et décalé, et l’on n’en attendait pas moins de gamins habillés avec des costumes trop grands pour eux et des fausses barbes. Les enfants utilisent des tournures de phrases d’époque, tout en ne pouvant pas s’empêcher de placer de nombreuses expressions anachroniques. Ces chevauchements lexicaux renforcent ce doux mélange d’innocence, de naturel et d’humour.

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Gros spoiler à suivre, mais l’épilogue est forcément assez négatif pour les femmes et le progrès, et Michael Lonsdale se mordra les doigts de ne pas pouvoir apporter une happy end aux filles. Cependant, il fait reposer tout son espoir sur l’idée que l’Histoire est cyclique, ce qui est à la fois d’un grand optimisme (un bon cycle pourra toujours revenir) et d’une grande lassitude (retomber encore et encore dans les mêmes travers). Tout dépend si l’on voit le verre à moitié vide ou plein. Et de terminer avec cette petite touche Jardiland : « L’Histoire, elle chute comme une pomme dans le vide, mais enfin, les fruits, ça repousse ».

Vas-y : si tu veux te rappeler de ces après-midi d’enfance à faire des jeux de rôle avec tes cousins, si tu te sens très COP 21 et Hillary Clinton en ce moment et si tu ne peux apprendre qu’en t’amusant.

N’y va pas : si Queen B c’est plutôt Christine Boutin pour toi, si tu n’acceptes que la diction à la Fabrice Lucchini et les effets spéciaux à la Michael Bay, et si tu t’enjailles les samedis après-midi à la ZI du coin, entre Darty et Saint-Macloud.

Les Filles au Moyen Age, de Hubert Viel avec Chann Aglat, Léana Doucet, Malonn Lévanna, et Michael Lonsdale. 2016. Sortie le 27 janvier.

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