Steve Jobs, de Danny Boyle – Je prends mon Jobs, un rail de coke, un café

Je pose mon Windows Phone et allume mon bon vieux PC, équipé du tout nouveau Windows 10 afin de lancer Microsoft Word et écrire ma critique sur Steve Jobs. Eh oui, j’ai toujours utilisé les produits de la firme à la fenêtre, détestant radicalement ceux d’Apple. Je n’ai jamais vraiment compris l’engouement pour les Mac, iPad et iPhone. J’ai passé 6 mois avec un Mac et j’ai cru que j’allais devenir fou. J’avais donc une légère réticence à regarder un biopic centré sur la vie du grand gourou de la pomme : Steve Jobs.

Confier l’écriture du scénario à Aaron Sorkin (l’homme derrière The West Wing ou The Social Network) a été une brillante idée. La construction du film est totalement inédite pour un biopic. On nous épargne le canevas classique linéaire et chronologique pour nous expliquer en quoi Steve Jobs est un visionnaire. Le film prend en effet le pari de se concentrer sur trois conférences de Steve Jobs avant le lancement de 3 produits symboliquement signifiants : Le Macintosh, Next et l’iMac. Toute l’intrigue se tient donc sur les quelques minutes précédant ces fameuses conférences dont on ne verra que quelques bouts de répétition. C’est un véritable pari d’essayer de traiter de la personnalité de Steve Jobs tout en expliquant une partie de l’histoire d’Apple et des enjeux liés à la naissance et l’extension des personal computer dans un cadre spatial et temporel si contraint (les quelques flash-back sont très courts). Le film réussit cet exploit brillamment et si Danny Boyle fait du bon boulot, on devine que cette réussite doit beaucoup à Aaron Sorkin.

On reconnaît en effet immédiatement sa patte. De manière caricaturale, on pourrait simplement souligner le fait que le film se concentre sur des gens très pressés, sûrement sous cocaïne, qui parlent souvent en marchant pour répondre à des urgences. En allant un peu plus loin, le film construit à travers une succession de dialogues entre Steve Jobs (parfaitement interprété par Fassbender) et son entourage, une conflictualité permanente pour saisir en creux les qualités et les défauts du PDG le plus célèbre d’Apple. Le film renoue ainsi avec les fameuses « slapstick comedy » qui reposaient sur des dialogues écrits avec une précision d’orfèvre et débités à un rythme de mitraillette. Le spectateur est toujours sur le qui-vive pour bien assimiler les « punchlines » qui se succèdent. Ces joutes oratoires dans lesquelles chaque personnage excelle sont très denses et charrient dans leur flot toutes les informations nécessaires pour comprendre la situation d’Apple et de Steve Jobs. Vie privée et vie professionnelle sont ainsi astucieusement mêlées.

Ces forces du film sont aussi ses faiblesses. Sorkin fait du Sorkin. Amy Schumer ou Seth Meyers avaient déjà parodié avec génie ses tics d’écriture  (ici, par exemple). Et l’on ne peut nier que l’on retrouve tous ces éléments dans Steve Jobs. Oui, les personnages sont tous étonnamment des rhéteurs hors pair, oui tout va beaucoup trop vite tout le temps, oui, cette façon qu’ont les personnages de prendre toutes les décisions de leur vie en cinq secondes parce qu’une échéance approche peut être agaçante. Le choix de contenir le film dans des laps de temps très réduits rend le procédé un peu trop visible et sort le spectateur de sa suspension d’incrédibilité. Ce n’est pas possible que tous ces problèmes, notamment familiaux,  surviennent et se règlent cinq minutes avant le lancement du Macintosh ou de Next. Le spectateur le sait et le film sait que le spectateur le sait. Dans une réplique méta, Steve Jobs fait une remarque sarcastique sur le nombre d’événements qui lui arrivent avant chacun de ses lancements de produit. Mais ce n’est pas parce que le film a conscience d’un de ses défauts qu’il en est dédouané pour autant… Même les personnages répondent finalement aux clichés de l’écriture de Sorkin. Steve Jobs est le visionnaire, souvent incompris, qui prend des décisions surprenantes contre l’avis de son entourage. Une femme, son inférieure hiérarchique, lui tient souvent tête tout en l’admirant (l’aimant ?) et révèle une part d’humanité en lui. Kate Winslet joue très bien mais, il faut avouer que son personnage sert principalement de faire-valoir à Steve Jobs, comme l’intégralité des personnages secondaires. Enfin, on peut se demander si ce procédé n’exclut pas des pans de l’histoire d’Apple et de Steve Jobs qui auraient été pertinents. Bill Gates, par exemple, est évoqué le temps d’un dialogue alors qu’il semble que le duel entre ces deux géants aurait pu prendre une place plus importante.

Steve Jobs ne cherche pas l’exhaustivité, mais retranscrit dans un tourbillon intense la folie d’un homme visionnaire. Votre réception du film ne tiendra donc pas de votre amour de Danny Boyle de Fassbender, ni même de Steve Jobs, mais principalement de votre engouement pour le style d’Aaron Sorkin. Comme Apple, ce dernier suscite souvent la fascination ou la détestation, rarement l’indifférence. Si vous êtes prêts à vous lancer dans un brillant ballet de répliques, vous passerez comme moi un excellent moment devant un biopic unique en son genre. Cependant, si vous êtes allergique aux films bavards ou aux tics d’écriture de ce scénariste, passez votre chemin.

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