Arnaud fait son deuxième film, sauf que je n’ai pas vu le premier.
Ca commence mal entre nous. Arnaud ne m’en voudra pas longtemps, car c’est trônant sur ses toilettes, dans un premier plan qui annonce l’introspection, que le monsieur se présente.
Alors Arnaud, qui es-tu ?
La quarantaine, le regard mélancolique, la voix douce et une vie sans filet malgré l’expérience, Arnaud ne ressemble pas à tout le monde.
Dans son film, il est question de parler de soi et d’intégrer à ce récit autobiographique des exagérations, des inventions, et même des rêves. Le cinéma, c’est l’outil qu’a choisi Arnaud pour se reformuler en mieux.
Il va se mettre en scène à toute vitesse sans même que l’on puisse percevoir, au passage d’un plan à un autre, que plusieurs mois se sont écoulés. Le film est en accélération permanente, Arnaud court de plus en plus vite après sa vie, il ne tient qu’à vous de savoir s’il y parviendra.
« Moi, vieux ? »
Aujourd’hui, on parle d’auteur pour qualifier le bonhomme qui sera capable de raconter une histoire à un public. Peu importe la façon dont il aimerait nous raconter cette histoire – son point de vue n’étant pas la priorité – tant que le scénario coche la case « sans prise de risque ». L’obsession de la narration en tant que sens (qui explique, qui montre et démontre) a gangréné tous les genres, lentement, sûrement. Il y a eu des rébellions, de la résistance, et à l’Alpe d’Huez il y a eu Arnaud.
Si j’ai bien des difficultés à expliquer ce que raconte son film, cela ne me pose aucun problème. Je peux, en revanche, parler de ce que j’y ai vu et vécu. Il s’agit d’un film vivant, d’un film d’auteur vivant. Le fil conducteur, c’est l’esprit d’un homme terriblement angoissé, soucieux de pouvoir s’exprimer. Chez le psy, au restaurant, dans un cour de théâtre, après l’amour, Arnaud se raconte, se questionne.
Dans la tête d’Arnaud, mimer le sexe tout habillé avec la fantasmagorique Frédérique Bel comme partenaire, c’est naturel. Dans la tête d’Arnaud, écrire un scénario sur son Mac est comparable aux partitions passionnées de Mozart. Dans la tête d’Arnaud, faire de Chris Esquerre son coach sexuel est une évidence. Le film organise 1h30 durant cette rencontre, entre lui et nous, entre nous et ses emmerdes, ses amours et ses joies.
En quête de sens, de réponses à ses obsessions sur la vieillesse, la jeunesse, mais aussi sur la normalité, le film formule des réponses obsolètes, invérifiables. Après tout, le cinéma n’a jamais été une science, mais un terrain d’expérimentation où les méandres de l’esprit prennent forme. Vu sous cet angle, difficile de considérer le didactisme et la vraisemblance (qui ont déjà eu leurs heures de gloire) comme des aspirations sexy… il s’agit d’inventer. Arnaud invente avec une matière qu’il connait et qui l’amuse : lui-même.
Vous avez dit expression ?
C’est un sujet on ne peut plus d’actualité que l’expression. On en débat dans les journaux, on la crie dans la rue, on la défend ou on la bafoue. L’expression est vitale. Quand un auteur s’en empare, un processus de création se lance. La forme que cette aventure peut prendre est absolument infinie. Le cinéma est un vecteur d’idées et d’énergie dont le langage est à réinventer à chaque fois, pour que chaque film puisse déclarer une identité propre.
Sentir qu’un film ne peut être fait par personne d’autre que son réalisateur est un sentiment devenu rare, exceptionnel. Alors merci Arnaud, de vous être si bien exprimé.
Questions à Arnaud Viard, rencontré au Festival de l’Alpe d’Huez
En ouverture du film vous parliez d’une auto-fiction, on comprend l’idée si autobiographique – dans ce personnage de réalisateur qui a des problèmes de production et qui se cherche dans la vie – et en même temps cette liberté de ton qui vous permet d’en rajouter, d’inventer. On se demande du coup si votre vie est aussi drôle que dans le film ?
Pas sûr… Je suis un grand angoissé, mais ma fiancée vous dirait que je suis également un grand fantaisiste. Ma personnalité résulte de ce mélange des genres. En revanche, je suis quelqu’un d’extrêmement maladroit, et c’est une veine que j’aimerais encore exploiter davantage. Je suis un vrai Pierre Richard, mais dans mon film ce point n’était pas central car j’ai toujours voulu rester un jeune premier. C’est d’ailleurs sûrement ce qui a fait que je n’ai pas eu une grande carrière d’acteur.
Vous êtes acteur et réalisateur d’un film qui parle donc de vous. Comment trouvez-vous le recul nécessaire pour juger la justesse de votre propre interprétation ?
C’est vrai que ça peut paraître prétentieux de faire un film qui parle directement de soi. Mais s’il y a assez d’autodérision tant dans l’écriture qu’au montage, alors ça ne me pose pas de problème. C’est quand il n’y a pas cette dose d’humour que je trouve que les choses marchent moins bien. Dans cet esprit, c’était très simple sur le plateau. J’avais ma chef op, mon ingé son, mon premier assistant, on faisait une prise et si tout le monde était content on enchaînait sur la suite. Ca c’est souvent passé comme ça, et heureusement, au vu du contexte dans lequel on a dû faire le film. C’était un petit tournage, on a tout fait en 22 jours.
Le film donne l’impression d’une liberté totale, et c’est dans ce sens un vrai film d’auteur ; vous parliez à l’instant de l’équipe du film, jusqu’où ont-ils eu une influence sur le produit fini ? Arrivez-vous à faire confiance aux autres pour parler de vous ?
Oui, il y a eu une certaine influence, ou plutôt des approbations. Par exemple, on organisait des lectures du scénario où nous avons réalisé ensemble pas mal de petites modifs. Ca venait naturellement, quand l’un se prononçait tout d’un coup sur quelque chose qu’il n’aimait pas trop pour des raisons souvent personnelles, on en discutait tous ensemble, et c’était finalement à moi de décider de changer ou de rester sur la première idée.
Mais j’étais très ouvert et à l’écoute de tout le monde. En tant que réalisateur, s’occuper de tout est impossible, alors il est indispensable de pouvoir faire confiance à son équipe. Cette atmosphère sincère a été très agréable, parce que quand on fait confiance aux gens qui vous entourent, ça détend instantanément. C’est ça qui fait que tout se passe bien. C’est vraiment la chose la plus difficile à instaurer dans une équipe.
Car comme tout réalisateur je suis un maniaque du contrôle, du contrôle de tout.
Vous citez Truffaut dans le film, qui pensait que le cinéma c’était la vie en mieux : finalement, vous préférez-vous dans votre film ou dans la vie ?
A vrai dire, je m’aime vraiment bien dans mon film. Dans la vie, j’ai tendance à me considérer un peu chauve, un peu vieux, un peu gros. Et c’est aussi ça que le film raconte, l’histoire d’un homme qui a du mal à vieillir. C’est une problématique très actuelle, vous vous ne la connaissez pas encore, mais vous verrez, un jour… A partir de 45/50 ans, c’est la deuxième partie de la vie qui s’opère, et rester jeune devient une obsession.
Arnaud fait son 2e film, d’Arnaud Viard avec Irène Jacob – Sortie le 8 avril 2015