Elle ne s’est pas imposée directement. Il a fallu quelques heures pour que, presque insidieusement, cette image me dérange. Elle avait d’abord imprimé ma rétine, instantanément, pendant le film. Ensuite, partagé que j’étais sur le message que Mike Leigh avait voulu – ou pas – construire à travers son film, cette image m’est revenue, comme une évidence.
William Turner, figure romantique du paysage anglais, précurseur de l’impressionisme, « peintre de la lumière », se retrouve face à un des premiers appareils photographiques. Le réalisateur prend le temps de poser son thème. Son personnage aussi. Il questionne le jeune photographe américain sur les utilisations qu’il fait ou entend faire de cette nouvelle invention. « Et vous photographiez aussi des paysages ? » demande-t-il, un peu curieux, surtout inquiet.
Et ce sont 200 ans d’histoire des médias qui me sautent à la figure. La photographie, le cinéma, la radio, la télévision, Internet. Et puis ?
Une image, fixe. Un peintre photographié par un cinéaste. Ce qu’elle nous dit sur « ce qui a été », pour reprendre les mots de Roland Barthes, me renvoie irrémédiablement à la question : « Pourquoi est-ce que je vis ici et maintenant? ». En l’occurrence, qu’est ce que l’apparition d’une nouvelle « médiasphère » (terme emprunté au médiologue Régis Debray) nous apprend sur nous-même et sur le rapport que nous entretenons avec le réel ?
Hier, la photographie, aujourd’hui, Internet (réseaux sociaux, applications, téléphonie mobile, objets intelligents, réalité augmentée, virtuelle,…). Quels rapports au temps, à l’autre, à soi, à la création, les nouvelles sphères médiatiques vont-elles façonner ?
C’est cette image qui m’est restée, quelques heures après avoir vu Mr Turner de Mike Leigh.