Sortie assez miraculeuse, six ans après sa réalisation, de l’impressionnant premier film d’un écrivain.
Très vite, devant la puissance tellurique des images, on consent devant Mateo Falcone à baisser les armes. Le film, on le comprend d’emblée, sera plus fort que nous, défiera notre résistance pour mieux délester son spectacle direct, solaire, sec, de toute velléité d’interprétation. Mateo Falcone interpelle et finalement captive parce que c’est un film croyant assez en ce qu’il montre, ce qui s’incarne sans phrase pour ne pas feindre d’en réserver plus. Un corps, des corps circulent, s’arrêtent, s’enfoncent dans le plan, entre le bleu du ciel et le jaune vif des champs. Un visage, puis un autre se distinguent, susceptibles d’exprimer ou non par le mot ce que leurs seuls traits disent peut-être déjà.
Ce cinéma franc, très situé, misant avant tout sur la force de l’enregistrement, nous le connaissons. Les illustres maîtres du moderne, Antonioni, Pasolini, Akerman, ont de leur temps su démontrer, par la seule grâce de la prise de vues, à quel point un film pouvait être avant tout l’espace de partage d’un territoire traversé ou simplement habité, déjà conquis ou disposé à l’être, par la caméra en même temps que par les silhouettes, les corps, les visages des personnages. Mais le premier film d’Éric Vuillard, écrivain (auteur par ailleurs de l’un des plus beaux romans de cette rentrée, Tristesse de la terre), tourné en 2008 et à la sortie un peu miraculeuse, ne ressemble surtout qu’à lui-même.
Car le souci du cinéaste semble moins ici de coller à une esthétique déjà admise par le bon goût cinéphile que de laisser un imaginaire lointain, celui de son enfance, prendre corps sous nos yeux très disponibles. Mateo Falcone est en effet l’adaptation, ou plutôt la réappropriation par Vuillard d’une nouvelle de Mérimée, Mœurs de la Corse (1829), lue dans sa prime jeunesse et dont il a toujours souhaité proposer un angle différent. Celui de la perception très directe et matérialiste par un enfant de la violence des hommes et surtout leur impuissance devant l’inéluctable de leur fin.
Si l’enfant n’est pas pour autant le protagoniste privilégié du film, force est de reconnaître que son point de vue, sa peur, sont ici parfaitement restitués, jusque dans ce qui nous apparaîtra, malgré la parfaite absence de complaisance de la mise en scène, comme l’une des scènes finales les plus glaçantes vues cette année. Il y a dans Mateo Falcone une forme de désenchantement serein face au déterminisme d’une poignée de destins rendant les scènes de combat, à armes pas forcément égales, aussi hypnotiques que celles à vocation, disons, plus contemplative.
Finissons justement par ce point : si Éric Vuillard est soucieux d’esthétisme et ne feint pas l’indifférence à la beauté des plans, du ciel, la terre et tout ça, on comprend en cours de projection, et plus encore des heures après, que la raison de notre adhésion tient à une attention égale à ce qui résiste à la beauté. Soit la chute, la mort, l’impasse propre à toute trajectoire soumise à la loi du donnant-donnant. Comme tout grand film moderne, ce qu’il est sans conteste, Mateo Falcone n’oublie jamais qu’un plan de cinéma n’a pas vocation à protéger des personnages ou un spectateur, mais prendre acte, par la seule grâce de l’enregistrement, de la si douce et si révoltante indifférence de la nature aux petites affaires des hommes.
Mateo Falcone, Éric Vuillard, avec Hugo de Lipowski, Hiam Abbass, Patrick Le Mauff, France, 1h05.