62e festival de San Sebastian – Démarrage difficile

Les croquetas et le jamon ibérico ne sont pas les seuls responsables… Jour 1 un peu court, je n’ai donc vu qu’un film en compétition, Silent Heart, du Danois Bille August, ovationné par la foule (la projection était ouverte au public).

Esther, une femme d’une soixantaine d’années atteinte d’une maladie dégénérescente incurable décide, avec l’accord de son mari médecin, de mettre fin à ses jours et organise une ultime réunion de famille.

Drame familial en huis clos, Silent Heart s’édifie sur la base d’une injonction contradictoire, vouloir à tout prix arrêter le temps pour profiter des dernières heures de la vie et accepter d’y mettre définitivement un terme. Comme si le paradoxe n’était pas assez clair, Bille August filme pendules, réveils, montres, témoins de l’écoulement du temps contre lequel personne ne peut lutter…

Le film n’est en fait qu’une compilation d’états d’âme allant du fou rire (dans une scène où tout le monde tire sur le joint du gendre, Esther peut se le permettre, elle quittera ce monde vingt-quatre heures plus tard, YOLO) aux crises de larmes d’une cadette en proie à ses propres démons. En lieu et place de l’euthanasie, le sujet de son film pourtant, Bille Auguste administre à tous une anesthésie générale, orchestre des adieux édulcorés au pied du sapin de Nöel et promet de ne troubler personne. Là où Amour de Michael Hanneke s’emparait du sujet à bras le corps (au sens propre) disait la décadence, montrait le sentiment même le plus honteux et pénétrait véritablement dans l’intimité de ses personnages, Silent Heart se réduit à une gentille petite leçon de choses prodiguée par une mamie qui, fatiguée, s’en ira faire une très longue sieste après le déjeuner familial.

Le jour 2 commence avec un film de la sélection Nuevos directores (les nouveaux réalisateurs), Vincent n’a pas d’écailles, de et avec Thomas Salvador dans le rôle titre.

Les forces de Vincent, un homme d’une trentaine d’années, se décuplent lorsqu’il entre en contact avec l’eau ; comme tous les super-héros, il n’aspire qu’à la normalité, d’autant qu’il a rencontré Lucie, qu’il aime éperdument et avec qui il voudrait partager sa vie.

A une exception près, lorsqu’il reprend une scène du Spiderman de Sam Raimi, Thomas Salvador ne souscrit pas au film de super-héros, et en prend le contrepied. Pour seules explosions, les plongeons spectaculaires de Vincent et une bétonneuse calmement jetée sur une voiture pour mettre fin à une bagarre, l’ordinaire à peine bousculé. Ce n’est autre que le traitement du sujet qui se veut extraordinaire, la mise en scène modelée par la nature et le naturalisme, comme si l’un nourrissait l’autre et inversement. Thomas Salvador semble en avoir absolument besoin pour y incorporer les faits et gestes inhabituels de son (super) héros… Dans l’espoir non dissimulé de faire surgir « la poésie » au cœur du quotidien. C’est parfois réussi, quand, au cours de son odyssée finale, Vincent s’accroche à la bouée d’un chalutier ou lorsqu’il aperçoit un peu plus tard la côte se dessiner à l’horizon. Mais l’ensemble manque d’ampleur, comme si le réalisateur-comédien, au fond, craignait la puissance de son personnage.

Retour à la compétition avec The Drop (Quand vient la nuit en français, qui sortira le 12 novembre prochain) de Michael Roskam (réalisateur de l’excellent Bullhead, sorti en 2011), produit par la Fox et tourné aux Etats-Unis avec un casting américain (Tom Hardy, Noomi Rapace, James Gandolfini), à l’exception de Matthias Schoenaerts. On aurait pu craindre le pire. The Drop n’a certes pas le caractère du précédent film du réalisateur belge, mais évite les écueils dans lesquels sont tombés auparavant bien des réalisateurs européens partis travailler outre-Atlantique (inutile de revenir sur le mauvais polar de Canet…).


Marv (James Gandolfini) et son cousin Bob (Tom Hardy) tiennent un rade appartenant à la mafia tchétchène dans les faubourgs populaires de Brooklyn. Un soir, Bob recueille un chien blessé abandonné dans une poubelle, sans imaginer que son propriétaire Eric (Matthias Schoenaerts) a l’intention de le récupérer.

Les thèmes chers à Roskam, la solitude extrême de ses personnages, les relations qu’entretiennent humains et animaux réapparaissent ici, mais comme affadis par les standards du polar américain. Le réalisateur livre un produit calibré et efficace, prouvant que le pari est déjà gagné pour partie. Tom Hardy excelle dans son rôle de brave type mal dégrossi et tient en haleine jusqu’à une scène presque finale hilarante, et c’est sans doute là la réussite majeure du film, qui le sauve de la banalité. Dommage que le film n’ait pas l’âpreté qui faisait de Bullhead un polar d’exception.

Place enfin au film d’Abel Ferrara sur Pier Paolo Pasolini, qu’on ne saurait qualifier de biopic tant sa forme et son propos en diffèrent. A n’en pas douter le film le plus insolite vu jusqu’alors, Pasolini s’articule autour de trois éléments majeurs, l’écriture de Pétrole, son dernier roman inachevé, dont Ferrara retranscrit à l’image certains passages, le dernier film qu’il voulait réaliser, que Ferrara met aussi en partie en scène, et la mort du cinéaste sur la plage d’Ostie dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975. Mais de cette architecture organisée par Ferrara, on ne sait rien, je ne l’apprendrai qu’à l’issue de la projection par un ami qui a interviewé le réalisateur de Bad Lieutenant. Aussi sibyllin qu’intrigant, Pasolini mérite un vrai article, ça ne saurait tarder.

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