Parler de ses petits plaisirs coupables cinématographiques est une tâche, il faut le reconnaître, de plus en plus ardue. Déjà parce que le concept en lui-même a toujours été très flou et qu’il a souvent été pas mal galvaudé. Car au fond on y a souvent apporté une plus grande importance à celui de plaisir qu’à celui de culpabilité. Pour tout dire, cette confusion des esprits a même conduit l’un des rédacteurs de Cinématraque dont je tairais le nom à avancer le nom de Woody Allen quand les premiers brainstormings de ce cycle ont eu lieu à Cannes.
Qui plus est, l’évolution des cinéphilies a depuis longtemps décomplexé notre subjectivité et décloisonné les soi-disant sphères du bon goût qui nous ont longtemps poussé à taire notre passion pour certains films. Si on y ajoute le culte galopant de certaines cinéphilies pour la série B voire Z, difficile de s’y retrouver au moment de trouver des films qui correspondent pleinement au concept complexe de “plaisir coupable”.
Pour autant, le plaisir coupable constitue un pilier essentiel de chaque cinéphilie personnelle. C’est même à bien y réfléchir le meilleur garant de notre singularité. Faites le test et vous vous rendez bien compte qu’on en apprend beaucoup plus sur quelqu’un en découvrant ses guilty pleasures que son top des films préférés. Qu’a-t-on à apprendre d’une liste où se bousculent les noms de Fellini, Bergman, Kurosawa, Lang ou Truffaut ? Tous grands que soient ces cinéastes, difficile de découvrir vraiment quelqu’un quand on découvre que son film préféré est Citizen Kane. Le plaisir coupable, lui, est toujours déroutant parce qu’il ne devrait pas se trouver là. Il pousse l’interlocuteur à se poser des questions, à essayer de comprendre comment on peut aimer un film qui brille avant tout par ses défauts. “Non, sincèrement, tu penses vraiment que Transformers 3 est le meilleur film de 2011? Tu trouves que Les Bronzés 3, c’est le meilleur de la saga? Mais qu’est-ce qui ne tourne pas rond chez toi ?”
Vous voyez, tout de suite, ce genre de questions (inspirées d’une histoire vraie, j’ai vraiment un ami comme ça, qui a même fait des études de cinéma!) a le mérite d’attiser la curiosité.
Donc voilà, mon plaisir coupable, c’est Wild Wild West.
Avouez que ça en jette, non? On vous l’a sans doute jamais faite, et vous inquiétez pas, c’est parfaitement normal car on ne peut pas aimer ce film pour des raisons traditionnelles.
Commençons donc par énumérer les raisons pour lesquelles je devrais détester Wild Wild West. Les effets spéciaux sont médiocres. Le scénario va à peu près nulle part. Kenneth Branagh cabotine comme un cochon en homme-tronc machiavélique (qui était à l’origine un nain dans la série répondant au doux prénom de Miguelito). Et le film, locomotive pour la superstar Will Smith, laisse scandaleusement le pauvre Kevin Kline sur le bas-côté, se dépêtrant en vain avec son avatar falot d’Artemus Gordon. Quand à la mise en scène de Barry Sonnenfeld, elle réussit l’exploit d’être encore plus transparente alors que le garçon peut être un peu qu’un gentil Yes-Man (c’était chouette La Famille Adams !).
Et on ne s’attarde bien sûr pas sur la fidélité par rapport à l’esprit de la série originale et sur la confrontation au genre du western. Au fond, Wild Wild West, c’est surtout Will Smith et un Random White Dude qui se la jouent Fred & Jamy de la castagne devant des CGI un petit peu foireux. Et vous vous rendrez compte que vous verrez pas beaucoup d’autre films dans ce cycle qui pourront se targuer d’avoir gagné cinq Razzie Awards.
Il n’empêche que dans son potentiel navet-esque, le film arrive à se raccrocher tant bien que mal aux branches du nanar réjouissance en misant outrageusement sur son ton décalé. Le penchant parodique du film, flirtant avec la moquerie envers son hypotexte (je vous rappelle que j’écris un papier sur Wild Wild West, il faut donc que je me rassure en plaçant des mots intelligents), est paradoxalement ce qui le sauve à mes yeux. Bouffon, grotesque, parasité par un nombre improbable d’inventions toutes plus débiles les unes que les autres, Wild Wild West atteint le rythme de croisième d’un gros nanar décomplexé, avec certes un budget vingt fois supérieur. Des marteaux déclenchés par interrupteurs, des assassins qui se cachent dans des tableaux, des scies tueuses aimantées par un collier magnétique, des soutien-gorges lanceurs de flammes, des araignées métalliques… Ce joyeux défouloir crétin, assumant jusqu’au bout son absence totale de cohérence, apporte un réel plaisir presque ludique de burlesque steampunk dégénéré, même entré dans l’âge adulte.
Et puis, il y a une autre raison, beaucoup plus irrationnelle, qui tiendrait presque de l’occultisme si je n’essayais pas d’être aussi sérieux. Voyez-vous, comme tous les petits enfants de mon âge, je jouais aux Pokémon sur ma Game Boy, je regardais Le Prince de Bel-Air le samedi matin… et je chopais gastros et angines à peu près trois fois plus souvent qu’un adulte pour rater les cours. Et au fond de mon lit par 39 degrés, une de mes K7 fétiches était celle de Wild Wild West, que je me repassais en boucle pour faire baisser la fièvre. Le pire, c’est que ça a marché une fois. Je ne sais comment l’expliquer, ça fait partie des mystères inexplicables que l’art nous réserve. Du genre pourquoi on sait pas faire de rock comme les Anglais. Ou pourquoi Marc Lévy continue à vendre des livres. Ca relève du paranormal mais le fait que certains se font des potages quand ils étaient malades, moi je regardais Wild Wild West. Un paquet de fois.
Et puis bon, on va pas se mentir, le pyjama troué laissant entrevoir la naissance de la croupe céleste de Salma Hayek, cette “bouchée de fessier”, a joué pour beaucoup aussi évidemment.
Wild Wild West, de Barry Sonnenfeld avec Will Smith et Salma Hayek