Amour Fou : le romantisme est dangereux pour la santé

Le second film d’Un Certain Regard pour votre humble rédacteur est un film autrichien se déroulant au début du 19e siècle, et nous contant l’histoire d’une épouse modèle tentée par un jeune romantique. Avouez que quand j’ai écrit « autrichien » vous avez lu « austère ». Et bien vous n’avez pas totalement faux, mais ce n’est pas tout à fait vrai non plus dans ce cas-ci.

Le film est assez froid, il est vrai. La caméra ne bouge jamais et chaque plan est un tableau très travaillé. C’est donc assez figé, mais cela sert très bien le propos du film puisque la jeune Henriette est totalement engoncée dans sa vie étriquée. Rien ne doit dépasser, et tout le monde doit jouer son rôle. Pas étonnant donc que les personnages eux-mêmes soient figés dans l’espace. Les scènes de chant notamment, où la famille écoutant religieusement le chanteur est filmée totalement immobile dans une attente polie sont à la fois belles et amusantes. La particularité d’Amour Fou est de réussir à nous faire sourire des situations grâce à ce recul et à cette distanciation qui donnent aux personnages une fausse solennité dans chaque circonstance. On ne prend jamais rien véritablement au sérieux, sauf peut-être la dernière scène de chant, étrangement bouleversante. De plus, ce choix de mise en scène offre de splendides plans. Tout est millimétré et chaque chose à sa place dans le plan, même les chiens. Jessica Hausner a un sens aigu de l’espace et le film est un plaisir de chaque instant.

L’intrigue est assez intrigante pour nous tenir en haleine alors que le postulat de départ semblait incongru : un jeune poète romantique allemand est décidé à se suicider mais il veut absolument emporter l’amour de sa vie avec lui dans un geste de départ unique et sublime. Cela aurait pu donner une tragédie intense, mais les personnages ne sont pas crédibles. Le jeune poète change d’amour quand il essuie un refus et l’on comprend vite que c’est plutôt la beauté du geste que l’amour en tant que tel qui l’intéresse. La jeune Henriette n’a visiblement jamais l’envie réelle de se suicide,r mais semble trouver un exutoire à son ennui mortel avec ce jeune homme étrange. Ce malentendu entre les deux peut finir dans une pirouette amusante ou dans une tragédie et l’on ne sait vraiment pas quel chemin va être choisi par les personnages.

C’est cette ambiguïté qui fait la beauté du film. On ne sait pas si l’on doit prendre au sérieux ce qu’on nous montre, s’il faut avoir pitié du romantique ou le mépriser, si l’on doit sourire de l’absurdité du comportement d’Henriette ou en être désolé. La cinéaste ne prend pas de position et filme à distance en faisant glisser ses marionnettes dans le théâtre qu’elle leur a créé de toutes pièces. La scène de la valse montre avec brio que les personnages sont totalement enfermés dans une chorégraphie prédéfinie, la seule piste de sortie semblant être la mort. Mais n’est-elle pas aussi une illusion de liberté ?

Amour Fou est un beau film très intriguant. Derrière la façade rigoriste d’une magnifique esthétique froide et parfaitement calculée se cache un second degré qui rend la volonté des deux héros, de s’extraire de leur vie, caduque dès le départ. L’ironie nous laisse toujours volontairement en retrait de l’intrigue jusqu’aux scènes finale,s qui nous emportent totalement.

Amour Fou, de Jessica Hausner, avec Christian Friedel & Birte Schnoeink – Sortie prochainement

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