Sur certains sujets polémiques, rien de tel pour se faire une opinion que l’observation d’un précédent, dont l’analyse devrait nous débarrasser de nos grandes idées, toutes résultantes d’une propagande d’état ou, pire, d’une famille « engagée ». Par exemple, le gaz de schiste. Vous vous imaginez bien que d’origine cévenole – région directement concernée par l’exploitation dudit gaz – et amoureuse de ses paysages, cycliste pratiquante, fille de pêcheur à la mouche, et accessoirement condamnée à boire de l’eau pendant 9 mois, je suis plutôt contre la pollution massive de toutes les nappes phréatiques et rivières qui découlent de la technique par fracturation hydraulique développée par les extracteurs de gaz. Mais de quel droit mépriserais-je le possesseur de scooter parisien à costume qui espère légitimement payer le moins cher possible son essence pour se rendre au ClubMed Gym, dispersant les particules dont nous entendons tant parler ces derniers jours (dans une fête parisienne ce week end : « la pollution à Paris, super, on sent rien et les transports sont gratuits ») ???
Malheureusement, les quarante-cinq premières minutes de Holy field, holy war ne donnent guère sujet à réflexion. Réalisateur américain d’origine polonaise, qui ne semble pas trop savoir où il a atterri, Lech Kowalski s’emploient à montrer la pollution des terres agricoles polonaises par les pesticides, round up en tête, en alternant plans de paysages de la campagne polonaises filmés à la DV avec des protestations indignées face à un conducteur de tracteur qui n’en a visiblement rien à secouer et le témoignage laconique de paysans polonais franchement déprimés qui ploient sous les calamités de l’agriculture de masse mondialisée comme ils ployaient sous les chars communiste et les fermes d’état. Bref, « on est à la campagne, mais on est jamais tranquilles », comme le résume un paysan en train de ramasser des scarabées (???).
Heureusement, c’est une conjugaison de ces deux fléaux qui va réveiller la communauté de ce village (et le spectateur) : l’arrivée des exploitants de gaz de schiste, qui après avoir planté des piquets un peu partout dans les champs, font les premiers forages n’importe comment, manquant de faire s’écrouler les maisons, sans autorisation et en polluant les réserves d’eau potables du village. S’ensuit un grand moment de cinéma : la réunion des paysans polonais avec le directeur américain de la firme exploitante, Chevron, flanqué d’une attachée du gouvernement polonais. Remontés, préparés, les paysans apparaissent tels qu’on ne les montre jamais : comme des gens incroyablement compétents dans leur partie, qui évaluent les dégâts causés par ces premiers mois d’exploitation, éclaircissent le fonctionnement d’une société de droits, et demandent des comptes aux fauteurs de troubles, mais aussi et surtout, au gouvernement polonais. Terrible réponse des uns et des autres : la société d’exploitation du gaz de schiste américaine se défausse de ses responsabilités sur la société de prospection polonaise qu’ils ont engagés pour faire le travail préparatoire à l’extraction (absente de la réunion) et l’attachée du gouvernement polonais bafouille que le gouvernement est en pleine expérimentation de cette exploitation nouvelle des ressources… Ce à quoi les ploucs polonais lui expliquent ce fameux principe du précédent : si l’exploitation du gaz se fait depuis plusieurs années aux Etats-Unis, que n’est-elle pas capable de dégager pour eux ces informations collectées auprès de l’ami américain ? La rigueur à laquelle ces exploitants agricoles se sont astreints en allant démarcher à l’étranger pour observer et apprendre des expériences américaines et européennes sur l’élevage et l’agriculture moderne n’aurait-elle pas cours au gouvernement ? La scène est d’une force incroyable et en remontre même au Promised land de Gus Van Sant, qui, sur un sujet identique, apparaît en comparaison presque condescendant avec le citoyen lambda.
Par la suite, lorsqu’un camion de Chevron s’arrête sur le bord du chemin pour pomper de l’eau, le propriétaire du terrain l’invective. Ne sait-il pas qu’il est en train de vider un étang dédié aux cultures ? Où sont ses autorisations ? Le conducteur repart en quatrième vitesse, et la scène clôt le film sur ce constat terrible : loin d’être les victimes écrasées d’une évolution cruelle mais inévitable dans la course à l’énergie, ces paysans éclairés et compétents font les frais de sociétés mondialisées composées d’escrocs incompétents et d’un gouvernement qui ne l’est pas moins.
Holy Field, Holy War, Lech Kowalski, France / Pologne, 1h45.