The Grand Budapest Hotel ou la grâce de l’Histoire.

Mathieu Amalric, Adrian Brody, Willem Dafoe, Harvey Keitel, Bill Murray, Tilda Swinton, Owen Wilson… Oui, le casting du Grand Budapest Hotel est aussi bankable et dément que le film. En s’inspirant des écrits de Stefan Zweig, Wes Anderson invente une histoire rocambolesque et hilarante, presque un pur prétexte pour déployer un arsenal cinématographique parfaitement huilé. Comme dans toute bonne comédie, ses personnages sont clairement identifiés moralement : le Mal est tourné en dérision par le Bien qui triomphe malgré tout. L’Histoire, la vraie, occupe une place dérisoire, mais permet au cinéaste un petit clin d’œil humoristique sur la situation des réfugiés politiques, à travers le personnage de Zero, lobby boy immigré embauché par Monsieur Gustave, le personnage principal.

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Comme ses personnages, la caméra a la bougeotte. Elle déambule dans les différents décors, zoome, panote, circule latéralement, en avant, en arrière, à un rythme souvent très vif. Le spectateur à qui l’on raconte l’histoire fictive du Grand Budapest Hôtel des années trente aux années soixante n’a pas le temps de s’interroger sur quoi que ce soit. Il est tout simplement pris par le tempo du montage, la cadence très soutenue des accélérations ou décélérations du temps de l’action, sur laquelle repose toute une série de procédés comiques. Car oui, le dernier film de Wes Anderson est excessivement drôle. Le réalisateur soigne l’apparition de chaque vedette à travers un plan rapproché d’une durée relativement longue, afin de laisser au spectateur le soin d’apprécier le travestissement de ce dernier en personnage burlesque et caricatural. Tout, dans le film, semble surfer sur le second degré. Les personnages se prennent très au sérieux et leurs acteurs les incarnent avec bonheur. Il en va ainsi de Willem Dafoe, sorte de brute humaine directement inspirée du personnage de Requin de L’Espion qui m’aimait, ou de Tony Revolori, alias Zero, l’attendrissant lobby boy, narrateur de l’histoire, dont les immenses yeux de biche suffisent à faire rire.

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Vers le milieu du film, Wes Anderson adresse un joyeux clin d’œil à Jacques Becker en travestissant la scène mythique de l’évasion du Trou. Avec l’aide de ses complices incarcérés, M. Gustave (incarné par Ralph Fiennes) démolit ainsi bruyamment et en accéléré le sol de sa cellule en tapant frénétiquement à l’aide d’outils dérisoires. C’est surtout l’esthétique du film qui semble avoir bénéficié du plus grand soin. L’attention scrupuleuse portée aux décors, tous plus fabuleux les uns que les autres, est rendue à la perfection dans des plans à la géométrie et à la symétrie quasi systématiques. Les décors tiennent autant des longs couloirs colorés à la Shining, que de l’esthétique joliment morbide d’un Tim Burton, pour ce qui est des scènes tournées à l’extérieur de l’hôtel, dans lesquelles agissent les personnages du Mal. L’étalonnage et la maîtrise des tonalités chromatiques suscitent un plaisir coloré à chaque nouveau plan, ainsi que l’on s’ébahirait à l’entrée d’un véritable hôtel de luxe. Le cinéaste fait se succéder les séquences sans temps mort, maniant du bout de sa baguette l’entrée et la sortie des personnages, ses péripéties et rebondissements bien ficelés. A l’image des pâtisseries raffinées au glaçage coloré que prépare l’amoureuse de Zero, ou du génial manteau en cuir de Willem Defoe (dont nous vous laisserons le soin d’apprécier la géniale singularité), chaque plan porte en lui cette forme de sophistication portée à son plus haut degré. Le film éveille ainsi une réelle jouissance du regard et de l’esprit du spectateur, entraîné pour une heure et demie dans un ballet comique parfaitement répété, un spectacle aussi réjouissant que séduisant.

Grand Budapest Hotel, Wes Anderson. Avec Ralph Fiennes, Tony Revolori, F. Murray Abraham, États-Unis, 1h40.

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5 thoughts on “The Grand Budapest Hotel ou la grâce de l’Histoire.

  1. jouissif, succulent… mais à savourer sur place, sans modération; car une fois sortis de la salle, il n’en reste malheureusement pas grand chose ^^

  2. Cher Martin,
    Comme vous, j’ai pu être fatigué par ce que vous appelez le « système » de Wes Anderson. Mais dans The Grand Budapest, son style n’a jamais été aussi net, aussi beau. Le style est d’ailleurs le sujet même du film. Je développe plus largement sur mon blog (alphaville60.overblog.com).
    PS pour Louise, la rédactrice de l’article: non la caméra n’a pas « la bougeotte », tout est net et précis.

    1. Avoir la bougeotte signifie avoir du mal à se poser quelque part, mais je ne voulais pas dire par là que les plans ne sont pas net et précis, au contraire ! Tout est maitrisé, mais dans un mouvement perpétuel.

  3. Hello,
    C’est un film plein de trouvailles, mais quand on a vu les autres films de Wes Anderson ces trouvailles on les connait déjà. Il y a un côté système assez lassant. Il fait son « truc ». Votre critique est intéressante cependant.
    Je suis surpris par le concert de bravos qui accompagne la sortie de ce film. On dirait un mouvement de foule, que je ne m’explique pas : on n’avait pas vu ça pour Rushmore ou La famille Tenenbaum, deux films infiniment meilleurs.
    Je vais revoir Grand Budapest Hotel dans quelques temps. Pour confirmer ou infirmer ou modérer mon jugement.
    cordialement,
    Martin

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