Beaucoup de bruit, et rien de Shakespeare

Ultime adaptation de “la” comédie de Shakespeare, à la lettre. Même si l’idée d’une transcendance d’un texte qui dépasserait l’espace-temps de son écriture est toujours séduisante, elle a des limites qui ont largement échappé à Joss Wedhon.

Le phrasé de celui qui a donné ses lettres de noblesse à l’anglais reste plein de sel, mais l’intrigue perd de son charme et se trouve comme dramatiquement aplatie par l’adaptation de ces rôles en costard-cravate et en petites robes Maje. Je n’avais jamais réalisé à quelle point cette fameuse mise en scène de l’amour par Shakespeare sonnait faux ; les protagonistes fonctionnent comme des marionnettes manipulées les unes par les autres avec une facilité déconcertante. Les retournements les plus radicaux qui, comme chacun le sait, prennent une vie (pour ne pas avoir lieu), se font dans le temps qu’il est nécessaire au rideau pour tomber sur la scène.

Mais il n’y a point de rideaux, il y a ce que le vingtième siècle saturé de Freud et consort a compris, et qui fait dissonance avec tous ces acteurs enfermés dans le présent d’un huis-clos bourgeois. On sait désormais combien toute décision fait intervenir de facteurs complexes, qu’ils soient conscients ou inconscients ; or  les personnages de la pièce semblent comme confinés dans l’immédiateté de l’espace circonscrit de l’action. L’impératif  du théâtre classique, qui soumet l’intrigue à l’unité de temps, a pour effet d’écraser la profondeur que seule la présence sur scène ou la temporalité reconstruite par l’effet d’un récit, donne aux personnages. Ces états d’âmes et ces postures, coupées du temps qu’il faut pour les produire, prennent des allures superficielles, et l’ensemble vient cruellement à manquer de quelque chose de ressenti ou de touchant.

Les faibles allusions au passé de ces belles personnes prises et éprises dans la bataille amoureuse sont hors champ ; ainsi la comédie ne prend pas, le propos s’étire en longueur et finit par lasser. Aurais-je l’insolence de dire que le texte de Shakespeare, entendu hors de son contexte, se révèle non seulement décalé mais un brin idiot, voire enfantin ?

Joss Whedon n’a pas rendu service à William avec cette adaptation de  Much ado about nothing, dont la relative simplicité se dissimule plus avantageusement sous des costumes du seizième siècle, ou le romantisme des préraphaélites. A le déguiser en un seul épisode trop concentré de type Desperate  – que ladite série aurait prolongé sur deux saisons minimum –  il nous livre finalement comme une ultime répétition hâtive du Globe Theater…

Beaucoup de bruits pour rien, Joss Wehdon, avec Amy Acker, Alexis Denisof, Clark Gregg, Etats-Unis, 1h48.

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