Bertha Boxcar, l’odyssée criminelle de Scorsese

Le père de Bertha Thompson, pressé par son employeur de terminer son travail, meurt sous ses yeux. Depuis cet incident, elle voyage dans des wagons à bestiaux, sillonnant l’Amérique de la Grande dépression. Elle rencontre un jeune syndicaliste qui tente d’entraîner les cheminots à la grève puis un joueur qui porte un revolver. Elle les suit dans leurs aventures.

Le succès du Bonnie and Clyde d’Arthur Penn en 1967 aura engendré un véritable revival du film de gangster rétro, et les années suivantes voient le genre largement revisité, notamment dans le mémorable Pas d’orchidées pour Miss Blandish de Robert Aldrich, Dillinger de John Milius ou, du côté du cinéma d’exploitation, Capone de John Carver, produit par Roger Corman. C’est ce même Corman, flairant toujours les filons en vogue, qui confiera à Martin Scorsese ce Boxcar Bertha, son vrai premier film après Who’s That Knocking at My Door qui, malgré ses qualités, demeure une extension d’un travail d’étudiant en long métrage. Le film adapte (très librement) Sister of the Road de Ben Reitman, autobiographie imaginaire de la tout aussi fictive femme gangster Bertha Thomson.

Boxcar Bertha part ainsi d’une base similaire à Bonnie and Clyde, biopic + version romancée et adolescente d’une odyssée criminelle. La nature purement fictive du matériau de base permet cependant à Scorsese de délivrer un film plus libre que celui de Penn qui, malgré ses audaces, se soumettait un minimum à la chronologie des événements, bien que ceux-ci fussent totalement réinterprétés. Scorsese, comme Penn, adapte complètement sa forme au point de vue candide et adolescent de son héroïne. Ne manquent que les bootleggers pour parfaire un paysage quasiment fantasmé de la Grande Dépression, que Scorsese nous dépeint en allant au plus simple : patrons impitoyables adeptes de la brisure de grève musclée, gauchiste vindicatif et idéalistes, hobos adeptes du transport clandestin sur les chemins de fer… Le film fonctionne davantage par saynètes que par le biais d’une vraie construction dramatique, Bertha (Barbara Hershey) se laissant porter au gré des événements et rencontres pour devenir membre d’un gang avec ses compagnons tout aussi peu expérimentés, Big Bill Shelly (David Carradine), syndicaliste détourné de sa voie, l’arnaqueur Rake Brown (Barry Primus) ou le protecteur Von (Bernie Casey). Chacun symbolise une frange écrasée par le système, Bertha perdant son père en ouverture à cause d’un patron tyrannique, Bill étant corrigé par les gros bras de ces mêmes patrons, et Von victime du racisme ordinaire de l’époque. Tous vont ainsi s’unir face aux puissants qui leur ont tant pris.

Les transitions et les ellipses surprennent, répondant autant à l’économie de moyens (reconstitution honnête, mais s’en tenant à un cadre rural) qu’à la volonté de retranscrire par l’image la sensation d’insouciance et de liberté de Bertha. Barbara Hershey est très attachante en femme-enfant découvrant peu à peu son attrait, et Scorsese lui offre de jolies scènes avec David Carradine, telle leur première étreinte, tout en douceur. Ce sont des enfants sur lesquels la criminalité tombe comme par accident, et qui d’ailleurs s’y adonnent comme à un jeu (Bertha s’amusant à faire se lever et s’asseoir deux hommes de main, armée de son pistolet) même si quelques scrupules rongent Bill. Scorsese usera des même motifs, dans un agencement plus complexe toutefois, pour exprimer le sentiment de toute-puissance de Johnny Boy dans Mean Streets, ou chez les truands chevronnés des Affranchis. Et, comme pour eux, la chute sera brutale pour Bertha et ses compagnons, dans une dernière partie très sombre où le réalisateur laisse pointer le spleen le plus troublant (le regard perdu derrière les sourires de Bertha, coincée en maison close) et les explosions de violences sanglantes dont il a le secret, avec notamment une mort christique assez éprouvante. Des débordements d’hémoglobine qui signent la fin de la récréation et du temps de l’innocence dans un saisissant final. Sous la commande et les exigences du film d’exploitation, Scorsese appose déjà joliment sa marque.

Bertha Boxcar, Martin Scorsese, avec Barbara Hershey, David Carradine, Barry Primus, Etats-Unis, 1h28 (1973).

About The Author

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.