Comme son titre l’indique, Yves Saint Laurent constitue le biopic relatant la vie d’une des grandes figures de la mode du XXe siècle. C’est aux côtés de Guillaume Gallienne, dans le rôle de Pierre Bergé, que Pierre Niney nous livre une interprétation vibrante du créateur dans un décor emprunté à la Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent. Pourtant, le faste des décors et les prestations des deux étoiles montantes de la Comédie Française n’y changeront rien : Yves Saint Laurent est un film en toc.
A la façon de Flaubert dans L’Education Sentimentale, Jalil Lespert entend raconter la vie d’un homme plus ou moins extraordinaire, sa petite histoire laissant apparaître les frémissements de la grande Histoire. Mais comme n’est pas Flaubert qui veut, Jalil Lespert se vautre maladroitement dans des clichés historiques sur les déracinés d’Algérie, les pieds-noirs (leur attribuant le visage d’une tristesse aisée et feinte), ou bien sur la folie hallucinogène des années soixante, entonnant le refrain sexe-drogue ; ces clichés, au lieu de conférer une quelconque épaisseur au film, desservent le personnage car, de ce que l’on s’attendait à voir, le génie, il ne paraîtra rien.
C’est sur un rythme endiablé, celui d’un juke-box déréglé (comme si, pour tenir le pari d’une vie rassemblée en 106 minutes, il fallait tout effleurer, et surtout dire plutôt que montrer), que le film se développe, alternant les grands moments de la vie de son personnage : son arrivée à la Maison Dior, son ascension à sa tête, sa rencontre avec Pierre Bergé, la formation de sa propre maison de haute couture, etc. Tous les jalons de sa vie (cf wikipédia) y figurent. Pour donner un peu d’humanité à cette biographie de monument, l’insupportable voix off de Pierre Bergé se veut le double du spectateur ; ainsi accompagne-t-elle la naissance d’une romance, les affres professionnelles et la décadence d’un jeune homme que la créativité malmène. Le ton du film et de la voix off, dès lors de plus en plus moralisateurs, compatissants voire pathétiques, nous apprendront à plaindre celui que l’on pensait être venus découvrir, et pourquoi pas admirer.
Jalil Lespert prétend vouloir d’abord raconter une histoire d’amour entre deux hommes, un génie et son pygmalion. Pourtant, de ce côté-là, rien ne fonctionne. Yves Saint Laurent ne fera définitivement pas éprouver la passion brûlante qui lie les deux protagonistes de La Vie d’Adèle d’Abellatif Kechiche, ni la virtuosité de l’amour luxueux de Ma Vie avec Liberace (Steven Soderbergh). Bien au contraire, là où le film aurait pu être audacieux, il se cache derrière la remarquable (mais insuffisante en définitive) prestation de Pierre Niney, et adopte un pseudo-érotisme qui ne montre (et surtout ne dit) rien de la passion qui anime Saint Laurent et Bergé. Comble de l’ironie : ce que l’on nous montrera le plus frontalement, c’est Bergé s’attaquant sauvagement à Victoire Doutreleau (Charlotte le Bon).
Si le film part sur de bonnes bases, bientôt il finit par ne plus dresser que le pauvre portrait d’un homme dont on ne verra jamais le génie, et dont on oubliera bientôt les répliques creuses (« je n’ai peut-être aucun principe mais je n’ai qu’une parole »). Aussi, de Jalil nous n’espérons plus rien, c’est désormais avec impatience que l’on attend la version de Bertrand Bonello, prévue courant 2014.
Yves Saint Laurent, Jalil Lespert, avec Pierre Niney, Guillaume Gallienne, Charlotte le Bon, France, 1h46