[Festival Groland] Rencontre avec Benoît Delépine

Merci à Galatée pour la photo.

Suite à la projection des Lendemains qui chantent, documentaire consacré à son travail avec Gustave Kerven – d’Aaltra jusqu’au Grand soir – une rencontre avec Benoît Delépine était organisée dans le cadre du FIFIGROT (Festival International du Film Grolandais de Toulouse]. L’occasion de lui poser quelques questions était trop belle ! En voici le compte-rendu. Et pour info, si certaines questions ont été posées par d’autres que moi, je vous assure que je les aurais posées moi aussi, juré craché !

Miss Ming dit que dans vos films, vous accueillez tout monde comme dans une famille. Elle ajoute que vous avez la qualité de savoir faire de la place pour les nouveaux acteurs. Ecrivez-vous déjà en pensant à qui vous allez confier le rôle ?

C’est au-delà de ça. On écrit pour des acteurs, en tout cas en ce qui concerne les rôles principaux. Pour tous nos films, on a d’abord pris rendez-vous avec les acteurs qu’on avait envie de réunir. On leur parle du scénario qu’on pourrait écrire s’ils acceptaient de tourner le projet qu’on leur propose. Pour Le Grand soir, on en avait parlé à Albert et à Benoît bien avant d’écrire la moindre ligne, pour savoir si cela pouvait les intéresser. Pour Mammuth, on a d’abord pris rendez-vous dans le restaurant de Gérard pour lui parler du projet. Et il a dit oui, mais uniquement sur l’idée. C’est assez extraordinaire. Pareil pour Yolande. Ce sont des gens qu’on rêve de rencontrer. Quand tout se passe bien, ça donne des films. Mais ce n’est pas toujours le cas. Là, par exemple, on avait écrit pour Jean-Roger Millot un film qui se déroulait entièrement au Salon de l’Agriculture, mais le responsable n’a pas accepté qu’on y tourne. On a alors réécrit, toujours dans le Salon, et on s’est refait bouler il y a peu. Cela n’a donc pas pu se faire.

Comment s’est passée la rencontre avec Gérard Depardieu ?

C’est un instinctif. Au restaurant, on n’avait qu’une idée à lui présenter. J’avais une vision de lui avec les cheveux long sur une Mammuth, vaguement du rôle de Yolande, et l’histoire du mec à la retraite. On trouvait Depardieu génial dans certaines interviews, complétement délirant. Mais en même temps, on se méfiait, il y avait une chance sur deux pour que ça se passe mal. Peut-être qu’il allait nous rejeter ou, à l’inverse, il aurait pu nous dire oui, et nous, lui dire non : si on avait senti un problème, comme c’est un monstre sacré, il aurait mieux valu ne rien faire que de commencer à faire des choses qui démarrent mal. L’entrevue a duré une demi-heure. Il a tout de suite compris le potentiel du film. C’est même lui qui nous a dit que ça devait être un film d’amour. Cette dimension-là, Gus et moi ne l’avions pas forcément vue au départ. Il a vraiment tout pigé tout de suite. Il connaissait la Mammuth alors que très peu de gens connaissent cette bécane. Tout lui plaisait. Et il a dit « j’le fais ». Il n’est pas resté avec nous pour déjeuner, mais il a dit aux gens du restaurant « le vin, c’est pour moi ». Il ne savait visiblement pas ce qu’il disait… Et nous, bien sûr, tellement contents, on a bu pour fêter ça. Je me suis réveillé dans le TGV qui me ramenait chez moi, complétement défoncé. J’ai consulté ma messagerie vocale, j’avais un message de Depardieu, alors que je ne me souvenais pas de l’avoir appelé, et qui disait « ben quoi, j’ai dit j’le fais, j’le fais quoi, c’est pas entre pompiers qu’on va s’marcher sur l’tuyau ! » Ça a été vraiment nickel avec lui du début à la fin. Le film a failli ne pas se faire pour des raisons financières, certains nous ont lâchés vers la fin. Lui, il a toujours été là. « On le fera à trois, mais on l’fera ». Il a été vraiment génial.

Dans le documentaire, on voit une scène de Mammuth au supermarché et celle où Bouli dit « ça va » dans le Grand soir. Quelle est la part d’improvisation et d’écriture dans ces deux scènes ?

Ces deux scènes-là sont écrites au mot près.

Mammuth : Gustave Kerven et Gérard Depardieu, dans la scène de l’hypermarché.

On est arrivé tôt le matin dans l’hypermarché dans un petit bled près de chez moi. La caméra a été placé au dernier moment. On n’aime pas faire de champ-contrechamp donc on a essayé de les avoir tous les deux et on a tourné directement. Par exemple cette scène-là est la première prise, c’est du ping-pong. Le fait de s’éloigner petit à petit, ils l’ont trouvé eux-mêmes, en sachant que la caméra était placée. Rien n’était prévu, ni les déplacements, il n’y avait aucune marque au sol. Cela s’est fait à l’instinct. C’est là qu’on voit que Gus est un sacré acteur : tenir face à Depardieu, il faut le faire.

Le Grand soir : Bouli Lanners et Areski Belkacem, dans la Pataterie.

Cette scène était écrite au mot près et on savait qu’il fallait absolument un pur acteur. Tout est dans le non-dit. Il y a des réactions, des regards, des silences inouïs. Il y a des choses qu’on peut proposer à des non-acteurs, mais pour d’autres, c’est impossible. Pour celle-ci, sans un pur acteur, c’est mort.

Comment se déroule le montage de vos films ?

On monte assez vite, en un mois. Même pour nos plus gros films, le tournage est entre 4 et 5 semaines, et le montage est bouclé en un mois. Sur Aaltra, on n’avait pas trouvé notre alter ego en termes de montage. Mais depuis Avida, Stéphane Elmadjian est notre monteur. On travaille bien tous les trois, on est sur la même longueur d’onde. Le montage est toujours une phase intéressante, qui peut même changer l’histoire. Pour Le Grand soir, la fin était prévue sur une chanson spécialement écrite par Brigitte Fontaine, et qui s’appelait aussi Le Grand soir, un appel à la révolution. Benoît et Albert foutaient le feu à la zone commerciale, et ils chantaient devant l’incendie. En soi, c’était bien. En théorie, ça tenait le coup. Mais le cinéma, ce n’est pas que de la théorie. Une fois en table de montage, on se rend compte que ça ne fonctionne pas. C’était ridicule. Il y avait quelque chose qui ne passait pas, ça cassait tout. Il a fallu trouver une nouvelle fin, mais avec ce qu’on avait tourné, ce qui n’est pas jamais évident. On s’en est sortis en prenant une autre chanson de Brigitte Fontaine, Inadaptée, qui correspondait mieux au film qu’un appel à la révolution totale. Ils sont déjà au taquet par rapport à eux-mêmes, ce qu’ils ont fait est déjà énorme. Alors penser qu’ils puissent être réellement à l’origine d’une révolution en France, c’est quand même moyen. Ils réussissent à écrire quelque chose avec les enseignes, ce n’est pas rien. Si tout le monde faisait pareil, ça serait déjà un gros bordel. On a donc décidé d’en rester là, et on a réussi à boucler le film.

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