On ne vous conseillera jamais assez d’aller voir La Belle et la Bête. Présenté au dernier Festival de Cannes après deux ans de restauration minutieuse, le film de Jean Cocteau vient illuminer nos écrans à partir du 25 septembre. Fable ancestrale dont on trouve des traces dès le IIème siècle chez Apulée dans Amour et Psyché, c’est du manuscrit de Mme Leprince de Beaumont, lui-même issu de l’œuvre de Mme de Villeneuve, que Jean Cocteau s’inspira pour écrire le scénario de son film sorti en 1946. Indiquons qu’une première adaptation cinématographique de La Belle et la Bête fut réalisée en 1899 et que le conte ne laisse pas de nourrir l’imagination des cinéastes. En effet, Christophe Gans en proposera une version à la fin de l’année 2013, suivie de peu par celle de Guillermo del Toro prévue pour 2014.
Un marchand au bord de la faillite part en voyage et promet à ses filles de leur rapporter des cadeaux, les deux sœurs aînées réclament des parures et des animaux exotiques et Belle, la dernière, demande une simple rose. En chemin, l’homme s’aventure dans un jardin et y cueille la fleur tant désirée sans savoir qu’il a pénétré dans le domaine d’un châtelain terrifiant. La sentence est immédiate : condamné à mort par la Bête pour sa peccadille, le marchand n’y échappera qu’à la condition qu’une de ses filles prenne sa place. Belle décide alors de se sacrifier et de vivre avec cette étrange créature qu’est la Bête, recluse dans un château au fond des bois.
Comme c’est la règle (tacite) lorsque l’on ouvre la première page d’un conte, on découvre le film de Jean Cocteau en ayant déposé les armes de la dérision et de l’incrédulité. Prérequis indispensable certes, mais qui s’impose sans qu’on y ait même songé, comme si la magie parvenait instantanément à nous envoûter et à faire oublier ses pouvoirs. C’est alors que l’on découvre deux mondes diamétralement opposés, l’un désenchanté, l’autre extraordinaire ; le premier pourrait sembler rassurant, mais c’est au cœur du second que Belle, sublime trait d’union entre ceux-ci, trouvera son salut. Le ravissement qu’inspire le film tient tant au sujet, amour pur, inattendu et pourtant évident, qu’à sa mise en scène radieuse et espiègle. Jean Cocteau offre un écrin aux sentiments de ces deux êtres auréolés d’une lumière pulvérulente et protectrice, manifestation visible de la bonté immanente de l’univers qu’ils peuplent. Touchés par la grâce, la Belle et la Bête habitent et inventent un monde qui leur apparaît tel qu’ils sont. Dans ce royaume poétique, la pensée et la parole magique s’unissent pour venir en aide aux deux amoureux et les guider. Rien de surprenant, donc, à voir des objets qui s’animent, comme ce miroir reflétant la nature véritable des gens qui le regardent, ou ce gant qui permet à Belle de se rendre au chevet de son père en un clin d’œil. On est subjugué de voir la magie émaner de toute part, à ce titre les trucages, malgré les années, restent époustouflants. Les changements d’état et les métamorphoses – pensons à la Belle en lévitation dans les couloirs du château, ou à la Bête qui brûle littéralement d’amour – constituent des moments d’une rare pureté. Dans son film, le poète Jean Cocteau nous rappelle la fonction qui lui incombe, celle de réinventer le monde en permanence et de révéler ses merveilles.
La Belle et la bête, Jean Cocteau, avec Josette Day, Jean Marais, Marcel André, France, 1h36 (1946).
Disponible en DVD et Blu-ray le 9 octobre / Editeur : M6 Vidéo.