Leviathan, cabinet de curiosités grandeur nature

Précédé d’un buzz retentissant depuis sa sélection en catégorie générale – chose assez rare pour être notée quand il s’agit d’un documentaire – et le grand prix au festival « Entrevues » de Belfort, Leviathan a de quoi surprendre. Réalisé par des « salauds d’écolos », selon les propres termes des réalisateurs-anthropologues Véréna Paravel et Lucien Castaing-Taylor, Leviathan capture l’œil de l’océan et, dans une folle opération d’empathie, propose au spectateur d’endosser, 87 minutes durant, le manteau de la Nature.

Embarqué sur un chalutier de pêche extensive au départ de New Bedford (le port d’attache du baleinier du capitaine Achab dans Moby Dick !), le spectateur est tour à tour mouette, dauphin, poisson agonisant dans la cale, marin sur le pont au milieu de la nuit ou homme-machine qui découpe à la chaîne une quantité astronomique de raies. Ce n’est plus l’homme qui regarde le monde mais le monde qui pose sa vision à facettes sur l’homme, monstre brillant qui laisse dans son sillage les cadavres de milliers d’étoiles de mer imprimant l’image des caméras sous-marines. Rapidement, un jeu s’initie avec le spectateur : mais d’où filment-ils ? Et, vu d’ici, qui suis-je, moi, spectateur ?

Le résultat de ce film expérimental qui cherche à invalider l’anthropocentrisme ? Du jamais vu, la création de plans inédits, du fait de l’ingéniosité des réalisateurs, mais aussi de celle des marins qui, pendant le tournage, se sont peu à peu emparés des petites caméras numériques (les grandes ont été successivement avalées par la mer) pour filmer ce qu’ils connaissent par cœur. Dans la scène d’ouverture, la caméra clipée sur la veste d’un marin offre des images hallucinantes de son travail. Du subjectif objectif, en quelque sorte

Mais une fois revenu de la stupeur provoquée par ce laboratoire d’images à couper le souffle, le spectateur boit la tasse et le malaise s’installe. A force de se prendre pour un poisson, il ferme les yeux sous les coups de hachoir et rit hystériquement lorsque sa vision cosmique est enterrée sous un monceau de cadavres. Sans commentaire, sans explication, les réalisateurs ont alors touché à leur but. Vu de la mer, l’enfer, c’est l’homme.

Leviathan, Lucien Castaing-Taylor et Véréna Paravel, France / États-Unis / Grande-Bretagne, 1h27

About The Author

1 thought on “Leviathan, cabinet de curiosités grandeur nature

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.