C’est bonne pâte que l’on s’est proposés de visionner avec notre professionnalisme habituel ce que les grands pontes de Cinématraque nous ont vendu comme un remake de Jeune et Jolie d’Ozon. L’original, plaidoyer pour la prostitution des mineurs (ou contre, c’est selon qu’on aime ou pas Ozon), était assez chiant et imparfait pour qu’on puisse espérer d’un remake quelques belles idées supplémentaires.
Mais vous êtes sûrs que c’est un film que l’on pourra regarder avec nos amis et au sujet duquel on pourra ensuite disserter afin d’écrire une jolie et érudite critique pour le site ?!
Mais oui, mais oui, nous arguait-on.
Alors on a convié tous nos amis et toute notre famille à venir échanger au cours d’un ciné-club à l’appart devant ce présupposé bijou de remake.
Jeune et salope, puisque c’est là le titre, démarre dans un appartement, celui de l’héroïne. Assise sur son canapé kaki, elle discute avec son amoureux. L’image est nette et le dialogue a priori improvisé comme chez Kéchiche : c’est à un film social, pour sûr, que nous aurons affaire.
Dans un bouleversement scénaristique des plus cinéphiles, des embrassades avec la langue et la bave interviennent. Le jeune homme – acteur à fond dans son rôle – se révèle assez pressant, quoique la demoiselle, au regard rohmérien – Dixie Valens, retenez ce nom -, ne semble pas super contente à l’idée de succomber aux avances de celui-ci. Pourtant, c’est chose faite quelques secondes plus tard, magie du montage elliptique.
25 minutes passent, le plan séquence, que l’on suppute intention artistique majeure, vient appuyer les personnages dans un espace/temps des plus réalistes. La proposition artistique du cinéaste est manifestement incomprise par notre ciné-club, dont l’effectif fond comme neige au soleil. Il ne reste guère que Thierry, notre ami jardinier soixantenaire que l’on n’imaginait pas esthète consciencieux, pour assister à la suite des pérégrinations de notre héroïne aux cheveux rouges comme le tapis cannois foulé par l’auteur du film ayant inspiré celui-ci.
Une histoire « d’amitié »
Ellipse, notre héroïne se retrouve dans une cuisine avec un « ami » (dont on verra la bite plus tard) a priori coquin, puisque coutumier du fait, se présentant à elle dès que le chat – son amoureux – n’est pas là. Mais la demoiselle se lasse : faire l’amour à une seule personne, quel ennui ! La solution, c’est de Matt, un « ami » (idem) qu’elle va venir. Miracle ! La belle passera les 20 minutes suivantes à satisfaire les deux « amis » dans la chambre de ses parents.
C’est là que la référence à Ozon est la plus pregnante – faut avouer qu’avant, on avait du mal – même Thierry, notre troisième larron – à la percevoir. C’est dans cette perversion, cet inceste par procuration que le réalisateur nous reconnecte à son sujet premier. Car Marina Vacth, dans Jeune et Jolie, est ce personnage en mal d’amour parental. C’est même là le seul semblant de réponse amené par Ozon à la problématique qu’il pose : « pourquoi cette jeune fille se prostitue-t-elle ? »
Dans Jeune et Salope, donc, on souille le lit conjugal de papa et maman, et, dans la scène suivante, lorsqu’un des souilleurs en vient à s’inquiéter pour l’état des draps, la belle ne savoir répondre que « c’était excitant ». Là, cette jouissance sans souci du lendemain, qu’y voir d’autre que cette parabole du rapport tarifé insécurisé ? Moins gros sabots qu’Ozon et son décès d’homme âgé pendant l’acte, le réalisateur de Jeune et Salope, Max Antoine, invite le spectateur à assister à la débauche insouciante, à cette quête du plaisir coûte que coûte de la jeunesse du 21e siècle.
Les scènes se suivent avec une rigueur esthétique et un souci du timing permanents, l’immersion en gros plans accentuant l’identification du spectateur. Probable aficionado de Kéchiche, le réalisateur a manifestement pour sujet de prédilection l’épuisement des corps. Des corps de ses actrices mais aussi du corps de son spectateur, harassé et pour qui le défilé d’organes plus impressionnants les uns que les autres se transforme en art abstrait.
Une jolie pirouette finale
C’est sur un pied de nez ahurissant que le réalisateur conclut son film. Le petit ami de l’héroïne est assis avec elle dans le kaki canapé, entreprenant comme toujours. Ce qu’elle lui reproche, comme toujours également, prétextant « ne pas être une salope ». Si elle n’a pas trop eu le temps de le voir, c’est parce qu’elle était vraiment préoccupée par ses révisions, lui explique-t-elle, complice avec l’omniscient spectateur…
Le film se termine sur un clin d’oeil de la demoiselle au spectateur, regard caméra nous renvoyant directement au cinéma de Jean-Luc (Godard, ndlr).
Quel bonheur, lorsqu’on s’appelle critique de cinéma, d’avoir les armes, les clés pour pouvoir décrypter des films de la qualité de Jeune et Salope. Pour autant, la critique et l’appropriation d’une oeuvre est, pense-t-on à Cinématraque, possible pour tout un chacun. La preuve en fut cette surprise, lorsque les lumières se rallumèrent au ciné-club, du beau spectacle de Thierry, resté jusqu’au bout du film, à ses dires satisfait de celui-ci. Pudique, il n’avouera pas avoir à l’instar des rédacteurs de cet article, avoir été ému aux larmes. Mais la montagne de mouchoirs en papier disposée sur sa chaise parlera pour lui.
Excellente critique ^^ Dur exercice d’intellectualiser un film X ! Vous l’avez fait de belle manière.
Fausse audace, ironie méprisante et appel du clic.
Et bien, c’est pas joli joli tout ça …
Fausse audace? Ironie méprisante?
Moi je trouve que la fausse audace c’est de commenter avec un pseudo…