Hijacking : le grand détournement, mais en pas drôle.

Prenez un bateau en pleine mer, des pirates, un cuisiner : vous pouvez obtenir Piège en haute mer, dont la bande-annonce est encore dans les mémoires, tant elle est drôle… ou Hijacking qui, lui, ne l’est pas. Depuis ses bureaux au Danemark, une multinationale reçoit un message d’alerte d’un de ses navires en plein océan Indien. Changement de cap sur leur écran : des pirates somaliens en ont pris le contrôle. Aussitôt contacté, un négociateur d’otages débarque, et affiche au mur sa très belle progression plastifiée débutant par hijacking (détournement), afin d’expliquer les étapes auxquelles s’attendre de la part des ravisseurs, et celles à mettre en place pour parvenir à un accord. « Libérer des otages pour les Nuls », mais en poster. Il insiste pour que Peter, le PDG, renonce à être l’interlocuteur lorsque les ravisseurs appelleront, car « si on est impliqué émotionnellement, le cœur remplace la tête : c’est là qu’on fait des erreurs ». Malgré tout, l’armateur en fait un devoir personnel : ce sont ses hommes, c’est donc à lui de les ramener. Sur le bateau, les boucaniers choisissent Mikkel, le cuisinier, pour contacter sa hiérarchie et transmettre le montant de la rançon. Dans les bureaux, le PDG décroche et applique scrupuleusement la marche à suivre.

Après la présentation du joyeux train-train du bateau et celle, aseptisée, du quotidien du PDG qui pédégère avec maestria, la tension s’installe. Le réalisateur jongle entre deux huis-clos et deux personnages : le bateau et l’entreprise, Peter et Mikkel, funambules des sentiments. Même si les paroles et les montants proposés par le PDG semblent complètement déplacés face aux vies en jeu et en joue, on ne croit jamais à une fantaisie scénaristique : l’expert en libération d’otage du film en est aussi un dans la vraie vie, ancrant le film dans un réalisme oppressant.

Tout est question de points de vue contradictoires, à chaque échange du film, inter-hémisphérique ou autour d’une même table, en pleine mer ou dans un bureau. Rien n’est manichéen : Søren Malling et Pilou Asbæk, respectivement Peter et Mikkel, évitent les clichés du méchant qui ne paie pas et du gentil qui subit. On réalise que Mikkel n’est pas le seul à être pris en otage : Peter n’est guère plus libre de ses agissements. Quant au personnage du traducteur accompagnant les pirates, bosser pour eux n’en fait pas l’un des leurs : l’ambiguïté sur l’appartenance ou non à ce clan sera une erreur lourde de conséquences.

Tobias Lindholm est connu pour son travail d’écriture dans la série Borgen, dont on retrouve les deux acteurs, ainsi que sur La Chasse. Il capte avec une grande justesse la descente aux enfers des deux hommes. Malgré les muscles et les armes à disposition, le spectacle n’est pas là, rien n’est montré frontalement, exacerbant encore plus cette tension. Tout comme les scènes plus « légères », qui permettent de retrouver le souffle nécessaire à l’apnée qui nous attend. Si on est impliqué émotionnellement, le cœur remplace la tête : c’est là qu’on fait des erreurs, mais quand cette prise d’otage se prolonge indéfiniment, quel est le plus pénible pour les deux personnages : ne plus vivre avec un cœur en veille ou bien les conséquences de son réveil ? A éviter avant un rendez-vous médical, sous peine de prendre des cachetons pour l’hypertension à vie.

Hijacking, Tobias Lindholm, avec Pilou Asbæk, Søren Malling, Dar Salim, Roland Møller, Gary Skjoldmose Porter, Amalie Ihle Alstrup, Amalie Vulff Andersen, Linda Laursen, 1h39, Danemark

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2 thoughts on “Hijacking : le grand détournement, mais en pas drôle.

  1. Je plaçais beaucoup d’espoir dans le film : sujet épatant + créateur d’une des meilleures séries du moment « Borgen ». Mais au final, le film m’a un peu déçu. Si le réalisme de la prise d’otage et la description des mécanismes de tractation entre l’entreprise et les pirates retient un temps l’attention, le manque de point de vue (que penser des rapports très Nord-très Sud?) et le traitement des personnages, très poli (dans les deux sens du terme) m’ont peu à peu plongé dans l’ennui. Trop prudent, « Hijacking » ! Par contre, la saison 3 de « Borgen » dépote…

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