Les Stagiaires : après les noces, le duo se crashe

Les Stagiaires (The Internship) se présente d’abord comme l’occasion de retrouver le duo composé de Vince Vaughn et Owen Wilson quelques années après Serial Noceurs (Wedding Crashers, 2005), comédie qui avait révélé l’énergie comique brute du premier et confirmé le jeu précieux et subtil du second. Or, il semble loin le temps où l’ouverture de Wedding Crashers pouvait être perçue comme la quintessence de la comédie américaine contemporaine : montage frénétique au rythme de Shout par The Isley Brothers, montrant Vince Vaughan et Owen Wilson parasiter des mariages, dansant, s’enivrant et dévorant pièces montées et jeunes célibataires dénudées, dans un tourbillon d’images noyées par une musique assourdissante. Cette scène s’apparentait alors à un manifeste : la comédie devait être décomplexée, incorrecte, hédoniste, amorale. Partant, rien ne préparait à ces Stagiaires, comédie d’un cynisme consommé, et dont les valeurs réconciliatrices dissimulent mal la volonté 2.0 de rappeler qu’à l’époque de Google, il est quand même bien temps de remettre de l’ordre.

Le film raconte ainsi l’histoire de deux commerciaux débonnaires, la quarantaine bien avancée, jouisseurs, beaux parleurs et toujours juvéniles qui apprennent que l’entreprise qui les emploie  pour vendre des montres de luxe vient de déposer le bilan, sous prétexte qu’à l’ère numérique, ces objets sont d’un autre temps. Désespérés mais pas abattus, les deux acolytes vont alors profiter de l’opportunité d’un stage chez Google pour décrocher une situation professionnelle et économique qui depuis toujours leur faisait défaut. C’est donc incompétents mais volontaires que Billy Mac Mahon (Vince Vaughn) et Nick Campbel (Owen Wilson) vont être confrontés à une centaine de géniaux informaticiens tous issus des plus prestigieuses universités du monde, tous de 20 ans leur cadet, tous avides du saint-Graal, un CDI chez Google !

Au dispositif déjà peu original, le choc mou des générations, va s’adosser un sens du portrait et de la narration déplorables, où chaque jeune va se voir attribuer un caractère typique, une posture. La fille audacieuse et intelligente dont l’assurance masque sa peur des hommes, le jeune asiatique génie de l’informatique et travailleur forcené (si si…) mais complexé et tyrannisé par sa mère, le beau taciturne dont l’acidité n’est qu’une manière de dissimuler la sensibilité, l’Anglais, comme chacun le sait, mesquin et opportuniste. Le récit, faussement généreux, consistera alors à révéler à chacun l’imposture de sa situation, et qu’il lui revient de prendre sa destinée en main pour devenir quelqu’un, condition sine qua non pour être embauché par la multinationale. Version contemporaine du film d’initiation, ou comment devenir un bon salarié.

Enfin, achevant cette mise en place hautement dramatique, le récit spécifie que la course à l’embauche des stagiaires va se faire en équipe et que, cela va de soi pour intensifier l’inquiétude, les ancêtres (déjà handicapés par leur âge canonique) vont être contraints de se joindre à l’équipe des losers, eux-mêmes diversement handicapés (couleur, sexe, asociabilité chronique…) afin de surmonter un ensemble d’épreuves visant à tester leurs compétences, leur esprit d’équipe et l’indispensable intériorisation des valeurs de Google.

On rassurera le lecteur angoissé (attention spoiler) : à la fin les losers sont des winners, les vieux des jeunes qui s’ignoraient et les jeunes des vieux prématurés.

Au milieu de cette éprouvante guimauve, on ne peut s’empêcher d’être circonspect, voire contraint de faire un peu de mauvais esprit devant ce spectacle affligeant qui n’est en rien innocent. Certes, quelques moments sont drôles, mais seulement lorsque la farce et l’ironie sont poussées jusqu’à l’absurde. Ainsi, une scène mettant en scène une partie de Quidditch, si elle n’échappe pas à un laïus pontifiant sur la nécessité d’être une équipe, et si elle joue encore sur le décalage générationnel (Vince Vaughn en fan de Jennifer Beals dans Flashdance), est l’occasion d’un déchaînement de méchancetés et de coups bas gratuits délicieusement licencieux. Mais à ces rares scènes de pure comédie se substitue tout au long des deux heures de film un discours lénifiant qui, littéralement, désamorce tout effet comique.

De manière symptomatique, pas un plan, pas un gag ne viendra entamer l’image de la marque aux deux G. Pire, le film paraît vanter la division du travail et la gestion des ressources humaines de la compagnie. Premier film complètement corporate, en un sens : presque tous les plans sont comme des réclames mettant en valeur l’architecture, la possibilité des loisirs (Owen Wilson qualifie le bâtiment de parc d’attraction…), la nourriture gratuite pour les employés, et le film tout entier semble être un prétexte à révéler le pays merveilleux de Google.

Mâtiné d’un humanisme bon ton, qui saura apprendre aux froids technocrates de l’information que ce qui compte dans les échanges c’est l’humain, le film ne va avoir de cesse, pourtant, de se contredire et de refuser à cette humanité générique toute expression singulière, toute différence sans la tancer, sans l’exclure. En effet, toute bizarrerie est sommée de rentrer dans le rang, de se taire ou de s’adapter au magnifique monde de Google, de s’avérer productive et utile « pour connecter les gens à l’information » ou de disparaître. Si la courte apparition de Will Ferrell reste hilarante, incorrecte, lourde d’allusions, elle n’a lieu qu’au début du film, comme pour mieux signaler que son humour, sa manière d’être au monde, sont désormais disqualifiées, dépassées. Il en va exactement de même pour John Goodman, brocardé en quelques plans comme le symbole d’un monde heureusement finissant. Ainsi, tout au plus, chaque stagiaire aura le droit de se lâcher, mais pas trop car demain il y a boulot.

A ce jeunisme bien peu généreux vient s’ajouter une manière détestable de faire fond sur les inquiétudes bien réelles de la jeunesse des pays occidentaux. En effet, ce que le film montre, c’est que le rêve des jeunes diplômés dans un monde du travail hautement concurrentiel consiste à obtenir un CDI, unique moyen d’échapper à la précarité. Si ce constat n’a rien de condamnable en soi, ce que le film en fait relève de la bêtise la plus crasse, de l’inconscience la plus coupable, voire de l’ignominie : aux six extatiques qui auront su faire équipe, lisez correspondre aux attentes de Google et être corvéables à souhait, vont revenir presque tous les plans des dernières minutes du film. Aux déclassés, aux exclus, à ceux qui n’auront pas de contrat, la majorité des stagiaires dans le film, ne restera qu’une poignée d’images les montrant se congratuler pour cette belle aventure partagée, et tous ces souvenirs, les plus beaux de leur vie il va de soi, qui resteront le miel d’une existence marquée par l’échec et, désormais, l’intermittence. Mort aux vaincus, et aux vainqueurs la platitude d’une vie semblable à cette comédie, bien sage et bien propre. Rien de grave, cependant : Google continuera à nous connecter, à nous rapprocher et, pire, à nous aimer, comme le déclare le créateur de l’entreprise en guise de morale finale.

Univers lisse et film plat, sans saillance ni aspérité, sans la moindre folie, et aux déchaînements terriblement mesurés, Les Stagiaires prouve qu’en l’état, le comique, ce n’est vraiment pas de l’informatique plaqué sur du vivant.

Les Stagiaires, Shawn Levy, avec Owen Wilson, Vince Vaughn, Rose Byrne, États-Unis, 1h59.

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