Jeune & Jolie, le film pervers de François Ozon – Compétition officielle

Isabelle de jour

Isabelle a 17 ans, elle est sublime, son corps parfait trouble ceux qui la croisent. Isabelle sait qu’elle est assise sur un tas d’or, c’est-à-dire son cul, et elle va se jeter dans la prostitution. Le film raconte le cheminement d’une adolescente qui découvre son corps et qui ne trouve rien de mieux à en faire que de le vendre. « Forcément, elle a dû avoir des propositions », dit son beau-père.

La question que je me pose devant Jeune & Jolie est la suivante : est-ce qu’Ozon filme la perversité, ou bien est-ce qu’il filme avec perversité ? Le film est suffisamment clair et réussi pour répondre : c’est la deuxième option. La lumière est sublime, mais elle met en valeur et érotise à outrance des corps adolescents ; celui d’Isabelle comme celui de son petit frère. J’ai ressenti le même malaise qu’à la lecture d’un roman d’André Gide. On peut écrire ou filmer avec un immense talent le viol, l’inceste, la perversité, et le spectateur peut être touché et troublé par ce qu’on lui montre. Mais pourquoi montrer ça ? Qu’est-ce qu’on nous raconte ?

L’absence d’un père, l’ennui de la bourgeoisie, le besoin de donner de la valeur à ce qu’on possède et à soi-même, voilà ce que raconte le film. Isabelle a tout mais elle n’a rien mérité. Elle vit dans un bel appartement des quartiers cossus de Paris, elle fréquente le lycée Henri IV, elle est d’une beauté envoûtante. On pourrait expliquer son choix par la recherche d’un père à travers des hommes plus âgés, qui la payent pour ses faveurs, mais cela me paraît simpliste. Selon moi, elle reprend la maxime de Pindare cité par Nietzsche : « Deviens ce que tu es ». En se prostituant, elle fait plus que s’allonger et donner son corps : elle apprend toutes les techniques de séduction, relancer un client d’un simple regard ou faire jouir l’impuissant. Elle a désormais un métier, un savoir-faire, un professionnalisme. Et quand sa mère, qui découvre de la pire des manières le pot aux roses, veut donner l’argent à une association, elle ne peut l’accepter, car c’est le fruit de son travail, de sa valeur. La policière, en révélant à la mère d’Isabelle les activités de sa fille, dit les mots justes. Elle n’a rien à craindre, elle est considérée du fait de son jeune âge comme une victime. Elle n’a rien à craindre, parce qu’elle a déjà tout perdu.

Son premier rapport avec un Allemand (symbolique de l’ennemi ?) sur une plage, elle le vit comme un viol. Allongée, elle regarde sur le côté et voit la jeune fille qu’elle était. Isabelle/Lea75 ne pourra jamais se détacher de cette première expérience traumatique. Et quand elle prend le dessus, ce sont ses amants qui deviennent ses victimes. L’un meurt d’une crise cardiaque, l’autre (petit ami de figuration, qu’elle a pris pour rassurer ses parents) n’arrive plus à bander et se fait réveiller par un doigt dans le cul, symbole de la domination.

Le film se déroule sur 4 saisons, probablement un hommage aux contes de Rohmer. Comme chez Rohmer, notre Isabelle (de jour) va devoir faire un choix. Mais chez Ozon, ce choix c’est la mort et la perversité. En témoigne la scène finale dans laquelle Isabelle sort du cadre en s’allongeant auprès de Charlotte Rampling pour ressentir la mort d’un être aimé et aujourd’hui disparu.

On ne fait pas de bons films avec des bons sentiments, certes. Mais là où Buñuel avait su filmer la perversion bourgeoise avec froideur, Ozon, accompagné par la musique de Françoise Hardy, nous entraîne avec chaleur dans un univers qui n’appartient qu’à lui, et dans lequel on se trouve mal à l’aise.

Jeune & Jolie, François Ozon avec Marine Vacth, Géraldine Pailhas, Fréderic Pierrot, France, 1h34.

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8 thoughts on “Jeune & Jolie, le film pervers de François Ozon – Compétition officielle

  1. J’aime beaucoup ta critique Jérémy. Très constructive et enrichissante.

    Simplement il me semble que tu réponds de manière un peu trop subjective à la question :
    « est-ce qu’Ozon filme la perversité, ou bien est-ce qu’il filme avec perversité ? ».

    Qu’est-ce qui te permet d’affirmer aussi facilement qu’il filme avec perversité.
    Je ne serai pas aussi tranchée que toi sur la réponse : l’un n’exclue pas l’autre.

    Je pense qu’il filme la perversité (avec perversité) : ce qui est un reflet de la réalité du monde d’aujourd’hui (pervers, en quête de profit immédiat).
    Les jeunes filles décérébrés qui font du porno de nos jours, et celles qui, non moins farouches, mais tout autant naïves utilisent leur corps à des fins commerciales (finalement c’est un peu ça le but : le profit) sont je trouve très bien illustrées dans le personnage d’Isabelle.

    Le monde semble être devenu indifférent à ces jeunes femmes. J’en dirai tout autant des hommes, sauf qu’eux sont moins mis à nu dans le film (c’est le cas de le dire).

  2. Ce film m’a véritablement interpellé.
    Dès la sortie de la salle de cinéma, je me demandais quelle serait la critique de ce film sur ce site !
    Et une fois encore, je ne suis pas déçu.
    Merci d’être aussi bon dans votre domaine 😉

  3. C’est de la merde ce film, je parie 3 euros qu’ il a ecrit le scénario en 10 minute au plus. Ce film c’est un phantasme d’homme en manque de sexe, rien de recherché, aucune philosophie, aucun art et aucune morale, du cul du cul et encore du cul. 7/20

  4. J’aime les films d’Ozon de manière générale … Celui-ci m’attirait aussi, j’aurais pu être cette ado. Je ne sais pas si j’irai le voir parce que je préfère voir de la beauté dans toute chose.

  5. L’homme est attiré sexuellement par ce qu’il pense être interdit ou réprimé, et c’est pour ça qu’il peut devenir « bestialiste », scatophile, pédophile voire homosexuel dans certains cas. On ne peut pas empêcher les excitations des « mauvais sentiments », mais ils ont toujours été là, et il serait stupide de ne pas utiliser les moyens artistiques comme le cinéma pour ne pas faire de belles histoires interdites entre le traumatisme et le plaisir sexuel dit pervers. Tu as vu Hard Candy ? C’est super (excitant)

    1. Euh non, l’homme en général n’est pas « attiré par ce qu’il pense être interdit ou réprimé », c’est quoi ce commentaire ? C’est vous qui êtes attiré par ça, pas moi. Ne généralisez pas votre cas.
      Et assimiler l’homosexualité à une perversion, c’est aussi une belle prouesse.

  6. Diantre, un cinéaste pervers… Bouh le méchant! Heureusement que Hitchcock, Kubrick et les autres n’ont jamais magnifié le corps adolescent…

  7. Très belle critique… Une démonstration qui vous éclaire sur milles choses, même avant d’avoir vu le film. J’irai le voir rien que pour mieux comprendre et apprendre sur tout ce que tu as si bien expliqué Jérémy!

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