Evil Dead : remake, fais-moi peur

Remake. Il suffit de prononcer le mot pour susciter des cris d’effroi. Parce qu’il agite le spectre d’un mal contemporain : la tendance à vouloir engranger du cash en resservant des recettes éprouvées, plus ou moins réactualisées et inventives, au détriment de la prise de risques, et des créations originales. Et aussi parce que ce terme est, souvent, synonyme de blasphème, d’entreprise vouée à trépaner l’intégrité d’un film prétendument intouchable. Evil Dead est une oeuvre culte pour tout fan de cinéma de genre qui se respecte – ou que tout amateur de cinéma horrifique doit, quoiqu’il en pense vraiment, jurer adorer sous peine de se faire excommunier. Ceux qui l’ont découvert en salle à l’époque se plaisent à narrer le récit détaillé de cette expérience qui a, pour beaucoup, cimenté leur amour pour le cinéma de genre. Les plus jeunes, entrés en religion avec le DVD, le visionnent avec le regard respectueux qu’exige ce rite de passage. Cela aurait pu continuer ainsi des années, mais, un jour, l’annonce est tombée : il y aurait un remake. Celui-ci ne serait pas réalisé par Sam Raimi lui-même, bien qu’il en ait eu l’intention au départ. Un inconnu, Fede Alvarez, qui s’est fait connaître par un court métrage, Ataque de Pánico !, se chargerait du boulot. Cris d’effroi.

Le sacre de la tronçonneuse

Toi qui t’apprêtes à aller voir le résultat en salle, et à poursuivre l’hérétique armé d’une fourche de commentaires acerbes, tranquillise-toi. N’abandonne pas tout espoir. Evil Dead a tout de même été réalisé sous le patronage de Sam Raimi et de Bruce Campbell, acteur totémique de l’original. Ceux-ci ont beau dire qu’ils ont laissé toute latitude à Fede Alvarez sur le plan artistique, on peut supposer qu’ils n’auraient pas suivi leur poulain s’il avait frayé dans une direction qui ne leur convenait pas. Pourquoi ce remake ? Pour retrouver l’esprit de l’original, mais avec BEAUCOUP plus de moyens. Il faut le reconnaître, le premier du nom n’a pas passé l’épreuve du temps sans encombres, certaines scènes et trucages – notamment ceux à base de pâte à modeler – ne font plus vraiment d’effet, et peuvent même paraître, osons le mot, risibles. Evil Dead version 2013 ne se contente pas de gonfler son matériau de départ comme un poulet aux hormones. Il s’en démarque, en cherchant même, souvent, à en prendre le contre-pied.

Les deux moignons dans le plat

On retrouve bien un groupe de jeunes enfermés dans une cabane en pleine forêt, une trappe qui mène à un sous-sol, un esprit démoniaque qui accourt après une simple incantation, et une tronçonneuse. Mais si les jeunes sont réunis, ce n’est pas pour les vacances, mais pour sevrer l’une des leurs de sa dépendance à la drogue. Ceci dit, le message sanitaire est très rapidement relégué au second plan. Le remake suit alors son cours, dans un ton très premier degré. Les clins d’oeil et hommages au film original sont légion, mais certaines scènes d’anthologie (à l’image de la célèbre séquence de la forêt) ne sont pas platement reproduites, mais revisitées, traitées sous un nouveau biais.
L’humour pointe par moment, mais la version 2013 se veut plus « sérieuse », assumant tous ses débordements gores. De ce côté-là, c’est un festival de démembrements, un feu d’artifices de sécrétions en tous genres. Fede Alvarez met les deux moignons dans le plat : il est extrêmement rafraîchissant de voir de tels excès d’hémoglobine tapisser les grands écrans. L’exercice peut sembler terriblement vain, mais cela faisait longtemps qu’une telle hystérie sanguinaire n’avait atteint les salles obscures, abonnées ces dernières années aux found-footage et aux torture porn, complaisants avec des sévices dont l’horreur est souvent renvoyée dans un hors-champ consensuel. Cachez ce sang que je ne saurais voir.

La répulsion plutôt que la terreur

Evil Dead a beau se targuer de proposer « l’expérience cinématographique la plus terrifiante », cette promesse ne dépasse pas l’argument promotionnel. Le film ne suscite pas un sentiment de terreur, mais de répulsion. On ne tremble pas, on teste sa tolérance aux (auto-)mutilations filmées en gros plan. On ne trésaille pas, on grimace, amusé, face aux relents d’Exorciste qui en émanent. Ce petit théâtre fonctionne à l’épate, en témoignent les 25 000 litres de faux sang utilisés sur le tournage. Evil Dead dégoûte, mais n’effraie nullement, puisqu’il échoue à se doter de la plus infime charge émotionnelle. Ses personnages sont bien trop rapidement esquissés, simples archétypes d’une jeunesse middle-class ricaine sans aspérité, pour qu’ils soient perçus comme autre chose que de la « chair à démon ». C’est d’ailleurs lorsqu’il lorgne du côté de l’émotion sincère, qui n’est pas sans rappeler certaines oeuvres récentes du fantastique espagnol (L’Orphelinat, Insensibles…) que le film effectue une sortie de route : non, ce n’est pas le film que l’on est venu voir. Il se rattrape brillamment en fin de course, en allant chercher des références du côté de la J-horror (en faisant allusions aux fantômes nippons) et en lâchant prise dans un Grand Guignol décomplexé. Le remake trahit-il le Evil Dead original ? Non. Il lui est sans cesse respectueux, déférent. Il est d’ailleurs vivement recommandé de ne pas bouger de son siège avant la toute fin du générique. Est-il une simple machine à fric ? Pas davantage. On sent la démarche sincère de se vautrer dans le gore avec un enthousiasme communicatif. L’entreprise paraît vaine ? Peut-être, elle n’est, en tous cas, pas formatée. Rien que pour ça : bravo.

Evil Dead, Fede Alvarez, avec Jane Levy, Shiloh Fernandez, Lou Taylor Pucci, Etats-Unis, 1h30.

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1 thought on “Evil Dead : remake, fais-moi peur

  1. Je me dépêche d’écrire un commentaire avant mon excommunication…
    J’avoue donc ne pas avoir aimé l’original, qui m’avait totalement laissé sur la touche. Celui-ci m’a un peu plus emballé (disons que j’ai trouvé le temps moins long). Peut-être juste une différence d’humeur ou le fait qu’il soit plus classique dans sa forme, lié comme tu le dis à plus de moyens. Si effectivement, les effets spéciaux du premier datent, c’est aussi ce qui fait son charme. Alors même si ce charme n’a pas opéré sur moi, il a le mérite d’avoir une personnalité que n’a pas son remake, assez plat.
    Sinon je trouve que le film a du mal à se situer, la plupart du temps très premier degré, il penche de temps en temps vers le second degré, du coup j’étais un peu perdu.
    Et sinon, totalement d’accord avec ton dernier paragraphe. Le film cherche avant tout à faire dans le plus gore possible plutôt que la terreur. C’est un choix, discutable pour moi.

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