Michael Cimino est de retour avec ce qu’il considère comme son chef-d’oeuvre, sa muse qu’on aurait pris soin de lui enlever, et qui lui serait rendue par les soins de Criterion, trente ans plus tard, pour une restauration du premier montage de 216 minutes. La Porte du paradis s’ouvrira-t-elle au public, et sortira-t-elle enfin de son image d’accident industriel ? Derrière la légende du film maudit, on oublie de replacer l’oeuvre au centre : revoir La Porte du paradis – entre sa durée et son mythe -, c’est croire entrer dans une église pour regarder si la restauration a été bonne. Mais oublions tout cela, sortons de l’église et prenons la direction d’une salle de cinéma.
La vision de La Porte du Paradis pourrait s’assimiler à une lecture d’Une histoire Populaire des Etats-Unis, l’ouvrage de Howard Zinn. Où il est donc question de la création des Etats-Unis à travers le prisme de la violence, comme élément fondamental et créateur. Beaucoup moins subtil que The Deer Hunter, dans lequel Michael Cimino était parvenu à évacuer géographiquement la violence fondatrice, la guerre du Vietnam étant hors-sol. Pour Heaven’s Gate, on quitte l’ère contemporaine pour la fin du XIXe siècle. Le Western, soit, mais le temps des espaces vierges, d’un soleil rouge se levant sur l’Ouest, n’est plus qu’un lointain souvenir. Les habitants d’une ville du comté de Johnson, coincée dans un cirque montagneux du Wyoming, se battent contre une association d’éleveurs, avec le soutien du gouvernement, qui ne supporte pas que ce comté ne lui appartienne pas. D’un côté, des immigrés de l’Europe de l’Est. De l’autre, de riches éleveurs sortant de Harvard. En somme, un combat de classe digne de ce nom, tel qu’Howard Zinn aimait à les conter avec la plus grande justesse.
A la différence de Cimino, qui n’est pas un écrivain de gauche, mais un cow-boy qui ne supporte pas que les paysages américains soient à la merci d’une bande de mercenaires obsédés par le profit. Il préfère glorifier une ville qui se vit dans toute son indépendance, dans l’autogestion, loin de l’industrialisation de son pays, où l’on puisse chasser librement (comme dans Jeremiah Johnson), danser et chanter les airs du folk américain et sortir son six-coups pour défendre son territoire.
Si le réalisateur choisit la ronde humaine et la mise en scène circulaire, c’est pour écrire son pays, depuis l’ouverture du film à Harvard, où l’université célèbre sa dernière promotion par une valse mondaine autour d’un arbre et un rituel, violent et barbare, entre anciens et nouveaux promus qui doivent attraper, sur cet arbre, un bouquet de fleur : entre hommes, dans le sang et avec le sourire. Un apprentissage de ce qu’ils sont – et surtout vont être – dans cette époque charnière, à la sortie de la Guerre de Sécession, et de ce qu’ils devront répéter dans la séquence finale. Affrontement violent où les défenseurs du comté de Johnson coincent l’association des éleveurs dans un bosquet. Sur leurs chevaux, la poussière se lève, le bruit des armes se fait entendre, le combat devient épais et peu intelligible. La beauté du dernier geste, d’une époque qui se clôt – laissant place à l’industrie – filmée telle quelle par Cimino, avec une grande émotion, à travers l’emploi du 70mm, d’une caméra en mouvement, du choix de la poussière avec, comme grand témoin des combattants plein cadre, les montagnes du Wyoming.
Toute la nostalgie de Cimino s’exprime dans les décors qu’il filme, dans les villes qui reconstruit pour les besoins du film. Une histoire de paysages, où le réalisateur cherche à retrouver ce qui n’existe plus ; un dernier combat qu’il mène avec son cinéma, lequel sera très mal compris par le public et la profession à la sortie du film en 1980. L’auteur a juste oublié de se poser cette question : les Etats-Unis étaient-ils capables d’entendre – et de voir – cette histoire sous le format d’un film de 3H46 ? Probablement pas.
La Porte du paradis, Michael Cimino, avec Kris Kristofferson, Christopher Walken, John Hurt, Isabelle Huppert, Etats-Unis, 3h36.