À la fin de l’année dernière, la critique est tombée à raison et à bras raccourcis sur une comédie française de plus en plus famélique : Stars 80, Les seigneurs, Un plan parfait… Bien sûr, il y en eut des « pas si nulles » (Astérix, Comme des frères), voire même des « pas trop mal » (Le prénom) ; il y eut même des exceptions (enfin, une, à vrai dire : Radiostars). Mais, dans l’ensemble, la dynamique était franchement descendante. Et ce n’est pas sur les arrivées de Max, de Turf, ou de De l’autre côté du périph sur nos écrans qu’il semble falloir compter pour redresser la pente.
Premier mis en cause au centre des débats, le système de production apparut comme le grand coupable : l’étroite relation entre les plateaux de tournages et ceux de télévision fut montrée du doigt, et à raison : aujourd’hui, un film est un produit commercial. Qui vend les produits ? Les stars. Qui sont les stars? Les comiques issus des plateaux Télé et /ou des planches : José Garcia, Gad Elmaleh, JoeyStarr, Fred Testot, François Xavier Demaison, Franck Dubosc, Ramzy Bedia… (Maintenant, c’est même du Net qu’ils vont venir : cf Norman, à l’affiche de Pas très normales activités). Ces acteurs ne représentent que la somme (considérable) de leurs fans, c’est-à-dire de ceux qui vont payer plus de 11 euros un ticket de cinéma sur la seule foi d’un nom sur une affiche. Même si le film est d’un niveau artistique et technique minable, il fera un nombre d’entrées suffisant pour en rembourser le coût et, bien souvent, faire des plus-values inconcevables. Par ailleurs, la promotion de ces films est des plus simples : il suffit aux comédiens de faire le tour des plateaux de télévisions auxquels ils sont habitués, et qui, dans certains cas, les ont fait connaître (cf José Garcia à Canal+).
Allez, quelques chiffres, pour se donner le vertige :
La vérité si je mens 3 ! : 4 613 791 entrées. Astérix et Obélix : Au service de sa majesté : 3 759 271 entrées. Les seigneurs : 2 715 019 entrées. Les Infidèles : 2 301 045 entrées. Stars 80 : 1 845 040 entrées. Tous ces films sont dans le top 25 du Box-office français 2012. Ce sont eux qui draguent 70% de l’argent investi dans le cinéma chaque année.
Je pose la question ouvertement, puisque ces millions de spectateurs doivent bien avoir un avis sur la question : qui a vraiment aimé ces films ?
La « polémique » lancée par Maraval en décembre remettait en question les salaires exorbitants des comédiens français les plus connus. Mais ce n’est pas, pour moi, la bonne question. Evidemment, les comédiens demandent des cachets faramineux : ils en ont le droit, et surtout le pouvoir : le film se fait grâce à eux. Le scénario est même parfois écrit après le casting, pour coller à celui de ces Messieurs qui a bien voulu répondre présent (je dis Messieurs, car quid des dames dans l’équation?). La question est : pourquoi acceptent-ils des projets pareils ? Comment, lorsqu’on leur apporte le scénario des Seigneurs, peuvent-ils nourrir l’illusion que cela va donner un bon film ? À l’hypothèse du cynisme pur et dur, je préfère croire que c’est par paresse, ou par facilité, qu’ils se laissent embarquer dans ce genre de projets.
Car, bien qu’ils soient la clé de voûte de la réussite des films, les comédiens n’ont pas pour autant une place prépondérante dans leur création. Ils sont, eux aussi, un rouage d’une grosse mécanique commerciale et promotionnelle. Croulant, on s’en doute, sous des milliers de projets, on comprend qu’ils soient tentés de se laisser aiguiller par un conseiller qui leur « pitchera » les projets les plus « juteux ». Quitte à en oublier de choisir leur rôle en fonction de leur intérêt en terme de jeu : puisque les producteurs tablent sur les fans de Dubosc pour rentrer dans leurs frais, Dubosc doit faire du Dubosc, et rien d’autre. Sinon, il y aurait un risque sur investissement, ce qui aujourd’hui ne semble plus possible. Ainsi, on demande sempiternellement à chacun de rester dans la droite ligne de ce qui fit, il y a parfois plus de 20 ans, sa spécificité, son originalité. Pourtant, j’imagine que financièrement, ces quelques élus de la comédie française doivent avoir les coudées relativement franches : on les imagine mal accepter un film à contre-coeur, au seul prétexte de remplir le frigo.
Alors, que faut-il en déduire ? Qu’ils sont fiers, à titre personnel, de jouer dans des navets pareils (je ne le pense sincèrement pas) ? Qu’ils subissent (comme beaucoup d’artistes) la peur de ne pas tourner, de ne pas jouer, les poussant à remplir leur agenda coûte que coûte, le moindre temps mort pouvant prendre des airs de panne créative (possible) ? Ou qu’ils sont eux aussi victimes de la normalisation ahurissante (en terme de scénario et de mise en scène) que semblent subir les comédies françaises qui inondent nos écrans depuis quelques années (probable) ? Peut-être ont-ils des tas de projets personnels et décalés sur leur étagère, mais qu’inlassablement, on leur répond : « Plus tard. Pour l’instant, fais ce que tu sais faire. »
Cet « instant » (!) doit prendre fin. Si, comme le souligne Maraval, la toute-puissance des acteurs est l’une des clés du problème de financement du cinéma français, cette toute-puissance (qui est en fait, comme on l’a dit, partiellement illusoire) sera également l’une des clés de la solution. C’est aux acteurs comiques eux-mêmes de redresser la barre ; d’arrêter un moment d’enchaîner les films aussi mécaniquement et passivement que les spectateurs les reçoivent ; de prendre le temps de souffler. De refuser le premier, le deuxième, le dixième scénario qu’on leur apporte. Et de continuer à lire les projets jusqu’à ce qu’ils en trouvent un qui les accroche profondément. Cela mettra peut-être un an, deux ans, pendant lesquels les producteurs, momentanément privés de leur manne, grinceront des dents. Aux premiers refus des Ramzy, Garcia, Dubosc et autres, ils écarquilleront les yeux. Alors ils leurs proposeront 20% de plus sur le film : il faudra refuser. Bien embêtés, ces producteurs payeront un script-doctor pour rafistoler le scénario à la hâte, avant de le présenter à nouveau à leur « star » capricieuse : il faudra refuser à nouveau. Alors, à ce moment, et à ce moment seulement, une porte sera enfin entrouverte : les producteurs se plongeront à la hâte dans la pile de scénarios gisant sur leurs étagères ; il fourniront l’effort d’aller dénicher l’inventivité là où elle se trouve. En un mot, ils rempliront à nouveau ce qu’était leur rôle dans les années 60 et 70 : s’investir pour défendre une vision de cinéma personnelle. Les comédiens auront de nouveau des partitions à se mettre sous la dent, et le spectateur trouvera dans la salle quelque chose de plus qu’un terne écho des fous rires qu’il prenait dix ans plus tôt devant son poste de télévision.
À Ramzy, Dubosc, Semoun, Garcia et consorts de regagner la sympathie et l’admiration dont ils jouissaient, à juste titre, à leurs débuts. À eux de lire, avec une lucidité et une bonne foi retrouvées, les scénarios des films dans lesquels on leur demande de jouer.
Mais si ils ne restaient que dans leur role de tele, mais qu’ils le faisaient bien, ca irait, mais ils jouent horriblement mal! Mais que fait Dubosc dans un film, a part montrer ses yeux? Meme un scenario ou une bonne realisation ne changeront rien au fait que ces soit disant acteurs ne savent pas jouer! Le probleme, c’est que meme si ils le souhaitaient ils seraient incapables de sortir de leur role televisuel.
Encore une fois, le doigt est pointé sur la mauvaise caste : je ne vois pas ce qu’on peut reprocher aux acteurs dans ce système puisque oui, le public est très souvent au rendez-vous. Les bande annonces ne sont pourtant pas trompeuses sur le produit final : celle des Seigneurs est aussi minable que le film. Le problème, c’est donc le public lambda qui consomme et consommera toujours ces âneries, un public lambda très adepte de la langue de Molière, peu ouvert sur la diversité du cinéma.
L’année miraculeuse où ces comédies lamentables se planteront toutes, il y aura peut-être une réaction des producteurs qui donneront une chance à des scénarios plus intéressants – l’autre part du problème dans le cinéma français aujourd’hui, les idées originales sont jetées à la poubelle, il faut vendre le même produit continuellement.
j’ai fait un rattrapage.
La vérité si je mense j’ai aimé le scénario n’est pas du foutage de gueule et on est content de retrouver ces acteurs c’est la famille. Le seul problème de ce film c’est qu’il n’aurait pas du couter aussi cher..
Stars 80 avec un scénario et un realisateur ça aurait pu donner quelque chose
Les seigneurs: la réalisation est plutôt bonne et le scénario est correct mais le problème c’est que ce n’est pas drôle et comme tu le dis aucun acteur ne sort de son personage médiatique
Asterix je ne l’ai pas vu et comme beaucoup de gens ce n’est pas forcement à cause du film mais plus parce que le précédent m’a coupé tout désir de voir des adaptations de asterix.
Les infidèles… si ça les amuse… quasiment aucun intêret mais je ne pense pas que beaucoup de gens aient perdu de l’argent sur ce film.
ERIC ?
Que vient faire Eric Judor dans ce parfait article ?
J’ai le meme étonnement !!!
Qu’est ce que fou Eric dans le meme lot que les Dubosc, semoun, Kad et autre?
Mes excuses les plus plates! Eric Judor, si tu nous lis, c’est une ERREUR!
Probablement qu’emporté par ma plume, et à force de citer Ramzy, j’ai fini par lâcher son nom… Mais je suis d’accord qu’il est justement l’une des exceptions qui essaye de faire de la qualité!
A la demande de notre cher auteur, qui apprécie justement les efforts d’Eric Judor pour apporter un peu d’idées et de sang neuf à la comédie française, et ne l’a cité qu’emporté par sa plume, celui-ci n’est désormais plus mentionné dans le dernier paragraphe. Que Ramzy, Dubosc, Semoun et Garcia, moins ambitieux que l’ami Eric, restent donc entre eux sur ce coup-là !
L’idée est louable, mais il ne faut pas oublier qu’au cinéma la roue tourne très vite pour les acteurs – vous l’avez dit vous-même, Norman pointe déjà le bout de son nez par exemple; donc s’ils acceptent d’enchaîner les projets, c’est pour surfer la vague tant qu’ils sont dessus. Attendre le projet parfait pendant 1 ou 2 ans (une éternité pour le public), c’est prendre le risque de sortir du radar des producteurs et autres décideurs et que quelqu’un d’autre prenne la place.
Alors certes accepter de jouer dans des mauvaises comédies ne doit pas être un plaisir, et il y a sûrement effectivement une part de cynisme, mais je crois que si le film est un succès public ça leur suffit, la plupart des acteurs (et surtout les acteurs comiques) faisant leurs films en pensant d’abord au public.
Quelle naïveté dans cet article… C’est beaucoup plus compliqué que cela. Vous croyez sincèrement qu’entre le scénario envoyé à l’acteur et le produit fini (deux ans de travail généralement entre les deux), il y a d’énormes similarités ? Le choix de la direction d’acteurs, le montage, le choix de la production, autant de paramètres qui peuvent faire d’une bonne histoire sur le papier un véritable désastre à l’image, ou, dans l’autre sens, qui peuvent d’une histoire sans intérêt un film absolument magnifique. Les acteurs qui ont la chance d’avoir suffisamment de notoriété pour qu’on leur propose un film savent très bien ce qu’ils engagent quand ils disent oui, ils engagent leur confiance sur un projet qui les a séduits, sur lesquels ils sont prêts à mettre leur nom. Mais c’est aussi une partie de poker parce qu’au moment où ils disent oui ils ne sont pas responsables de tout l’appareil de création et de production, dans lesquels ils sont aussi avant tout des rouages.
Par ailleurs, la tendance qu’a cet article à vouloir mettre toutes les comédies dans le même panier alors que certaines se distinguent par leur très haute tenue en écriture prouve peut-être l’incapacité de l’auteur à penser par genres et catégories. Le « Prénom » est pensé comme une comédie sophistiquée, où les dialogues sont ciselés et mis au service d’une situation prétexte à observer les moeurs, les « Seigneurs » est une pochade autour de l’univers du foot, les mettre sur le même plan, comme si le rire en France n’avait qu’une cible et une seule forme, c’est faire preuve d’une sacrée mauvaise foi ou d’inculture.
L’histoire du comique au cinéma, de toute façon, tous pays confondus, montre bien que la recherche du rire est beaucoup plus polyvalente et complexe que la recherche de l’émotion liée au drame.
Alors par pitié, arrêtez de tirer sur les acteurs du cinéma de comédie française et intéressez-vous plutôt à ceux qui prennent la responsabilité de mettre en face des spectateurs français des comédies poussives où l’humour lourdingue est censé fédérer tout le monde. Mais sachez aussi relativiser parce que le comique français prend plus d’une forme – et la télévision continue de le prouver.
Je viens de relire mon article, puis votre commentaire : finalement, il me semble que nous somme plutôt d’accord, vous et moi.
« ils ne sont pas responsables de tout l’appareil de création et de production, dans lesquels ils sont aussi avant tout des rouages » :
nous sommes d’accord.
« intéressez-vous plutôt à ceux qui prennent la responsabilité de mettre en face des spectateurs français des comédies poussives où l’humour lourdingue est censé fédérer tout le monde » :
le problème, c’est que la responsabilité est partagée : producteurs, acteurs, spectateurs, sponsors… Ce que je souligne dans mon article, c’est que ces comédiens ont une place difficile : d’un côté, les films ne peuvent pas se faire sans eux… ce qui leur donne du poids. De l’autre, ils peuvent vite être mis au « placard » s’ils n’ont pas d’actualité.
En tout cas, ils ont quand même des choix à faire, ce qui implique des responsabilités. Ce sont à eux de modeler leurs spectateurs, de les tirer vers le haut. Et puis, on parle de comédiens qui approchent la cinquantaine, et qui ont déjà tourné dans des dizaines de films, avec des dizaines de réalisateurs différents : ils ont assez d’expérience pour juger de la qualité d’un scénario, et pour avoir quelques notion de réalisation, il me semble.