D’Astérix à Stars 80 : l’an zéro de la comédie française

C’est toujours l’an zéro de la comédie française, incapable de mettre à profit ses quelques acquis récents (Éric et Ramzy, les modestes mais réussis Intouchables et Tout ce qui brille). Des Seigneurs à Stars 80, un seul horizon : le plateau des Enfants de la Télé. Au secours.

Entre l’inanité du premier épisode et l’affreux opus olympique (le tandem Langmann / Forestier, confondant son récit avec le tapis rouge d’une avant-première), la franchise Astérix a semble-t-il trouvé sa vitesse de croisière. Autant dire, plutôt dans la lignée de Mission Cléopâtre, où Chabat emboîtait le pas de Goscinny, renouant le dialogue avec la culture pop de son temps. Soit, dans le cas du film de Laurent Tirard, une édition du Grand Journal – ses bons clients, sa miss météo et ses bonus de Guillaume – dans les allées du Parc Astérix. La perspective a de quoi effrayer : c’est pourtant en renonçant à quelques leurres invoqués dans les épisodes précédents (l’adaptation fidèle, l’européplum surbudgétisé) que l’auteur assure le job.

Astérix et Obélix : au service de sa majesté – un exercice plaisant de non-style

Il n’avait fallu à Baer qu’un monologue en freestyle pour exister dans Mission Cléopâtre. Ici, deux petites heures de sketches épars (et plutôt irréguliers) saucissonnent la Baer attitude, en lui assortissant les mantras de l’oeuvre d’origine (manger des sangliers, filer des baffes aux romains). Car Baer ne joue rien d’autre que Baer (avec un casque à plumes), jusque dans le clin d’oeil à son rôle dans Mission Cléopâtre (« C’est une bonne situation, bourreau ? »). Avec la même forme d’entrain décomplexé – la même compétence technique, le même respect du public – qu’il appliquait au Petit Nicolas, Tirard prend Depardieu le nez dans le tonneau et refile à Lacoste son rôle des Beaux Gosses. Sans ambition majeure, mais sans défaut flagrant – hormis ses vilaines couleurs, évoquant les albums tardifs, post-Goscinny, de la saga, et son Londres aux allures de Bercy Village, où les BB Brunes font quelques apparitions embarrassantes – le film, à défaut de déclencher l’hilarité, séduit plutôt par sa modestie.

La comédie française : mission plateau télé 

Coincé entre les sorties des Seigneurs et de Stars 80, Astérix n’en avalise pas moins l’horizon indépassable de la comédie française : celui d’un plateau télé, conçu par et pour le petit écran (logique industrielle : il faut bien fournir les financeurs en programmes de prime time). En attendant donc un probable cinquième opus, où l’on redoute déjà les présences de Kyan Khojandi (Bref, j’ai taillé un menhir) ou Fred Testot (« Je suis François le Gaulois ! »). Le souci, c’est quand l’indigence formelle et l’incurie technique s’ajoutent à l’équation. Comme deux élèves dépourvus de style signent néanmoins leurs copie par la récurrence de leurs fautes, Forestier et Langmann creusent un sillon unique dans la comédie française, en ce qu’ils radicalisent le phénomène. Astérix aux Jeux Olympiques proposait, pour le prix d’une place de cinéma, la projection sur grand écran – et ramassée sur deux petites heures -, d’une journée complète de programmes télé, avec ses variétés (Francis Lalanne), ses sports (Michael Schumacher, Tony Parker) et sa régie publicitaire (Vanessa Hessler, l’Alice du fournisseur d’accès à internet, un peu moins en vogue depuis sa love story avec le fils Kadhafi).

Stars 80, l’Expendables variétoche

En comparaison, Stars 80 donnerait presque dans la retenue, simple restitution d’un plateau de Champs-Elysées circa 87, mais avec cette laideur pyrotechnique et anonyme propre à notre époque, dont on doute qu’elle soit même en mesure de générer son propre kitsch. Soit rien moins qu’un Expendables variétoche – Cookie Dingler et Dolph Lundgren, même combat. Ce n’est pas faire insulte aux quelques rares beaux films qu’invoque Expendables que de relever la nullité générale des oeuvres complètes de van Damme ou Chuck Norris. Alors, dans un cas comme dans l’autre, quel intérêt ? La rengaine sur les corps vieillissants, la noblesse de l’auto-dérision ? Nous en voudra-t-on alors de préférer voir Eastwood tomber de cheval plutôt que Jean-Luc Lahaye de moto ? L’attrait de la nostalgie ? Pourquoi des moins de trente-cinq ans mordraient-ils alors à l’hameçon ? Les symptômes de l’ère Youtube, qu’évoque le critique musical Simon Reynolds dans le récent Retromania (« imbrication du passé et du présent [transformant] le temps lui-même en un terrain boueux et spongiforme ») ? Ou dernière érection post-mortem des années 80, ses rêves de vestes roses et de marchés ouverts ?

Bloquée au stade de la citation (de fétiches télévisuels, de figures médiatiques), l’oeuvre de Forestier et Langmann fait du clin d’oeil son seul principe. Un cinéma impropre à trier les déchets de son temps, s’évertuant à confondre culte, ringard et mythique. Réentendre aujourd’hui le Macumba de Jean-Pierre Mader, ou revoir Sabrina sortir de l’eau comme au temps du clip de Boys, Boys, Boys, procède moins de l’exercice de nostalgie que de la machine à régression, soit dit en passant en pleine débâcle formelle.

Entreprise d’un cynisme consommé, de surcroît, et dont témoigne l’emploi de Bruno Lochet, condamné à pasticher ad libitum l’esprit Deschiens, cet exercice d’absurde ayant tourné au rance. De fait, le rapport qu’entretient le film à ses stars n’est pas sans rappeler celui des programmes de télé-réalité à leurs participants. Le récit, lorsqu’il ne se borne pas à un karaoké géant, partage d’ailleurs les préoccupations du Loft et de ses héritiers (Qui a pécho Sabrina, la bombasse de service ? Peter rejoindra-t-il Sloane dans sa chambre ?), ainsi que leur morale bien nulle : la vie loin des projecteurs, c’est drôlement moche.

Un stade, sinon rien

Ce qu’ignorent – ou feignent d’ignorer – Langmann et consorts : que les foules sont faites d’individus, que le grand éclat de rire général se nourrit de rires particuliers. Or, c’est précisément ce qu’accomplissait Chabat avec Mission Cléopâtre – un savant mélange de gags fédérateurs et de trouvailles obscures (segmentantes, diraient les collègues du marketing). Étonnant, tout de même, que tant de comédies récentes aient pour même ligne de fuite le Stade de France – ou ses succédanés, de l’arêne olympique du troisième Astérix aux pelouses des Seigneurs -, qu’il s’agisse de célébrer la Bar Mitzvah du petit dernier (Coco, Gad Elmaleh) ou la réunion des vieilles gloires des eighties (Stars 80). Loin d’être anecdotique, le détail trahit la seule visée généraliste de cette comédie-là, installant dans ses gradins un public à peine plus réel que celui auquel elle s’adresse. Cette audience qu’elle saucissonne en petites tranches (les coeurs de cible), lorsqu’elle ne cherche pas à en évaluer, comme le fait UGC depuis quelques années, le taux de satisfaction.

C’est d’ailleurs, on s’en doute, son rêve terminal : un panel en guise de public, se pressant pour admirer une foule de figurants numériques.

Stars 80, de Frédéric Forestier et Thomas Langmann, avec Patrick Timsit, Richard Anconina, France, 1h50.

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8 thoughts on “D’Astérix à Stars 80 : l’an zéro de la comédie française

  1. Quel lachage !! et tu as bien raison, ces films sont lamentables! cet asterix est une blague qui pitoyable et tes commentaires l’ont bien acheve. Merci

  2. Je l’ai vu ce soir !
    Je ne peux qu’être d’accord avec cette critique aussi pertinente qu’assassine, mais je dois avouer que j’ai « un peu » aimé ce film, quand bien même je l’ai trouvé entre médiocre et lamentable d’un bout à l’autre…

    Je n’aurais jamais su expliquer aussi justement et précisément que Thomas pourquoi ce ramassis de mauvais gout me semblait relever de la misère, mais je peux rendre compte de ce que l’on peut aimer DE SOI dans ce genre « d’expérience ».
    Ce très mauvais melting-potes parle aussi mal d’amitié et de rivalité que de la difficulté à vieillir et à passer has-been ; mais il nous rappelle combien le pouvoir de l’imagination prend de place dans nos moindres jugements.
    (Pour ceux que ça intéresse, installez-vous au fond de la classe le temps que j’efface le tableau et que je sorte mes craies).

    Contrairement aux Classiques qui définissaient le Beau comme la valeur que nous donnons à la perfection et à la vérité mathématique (ne dit-on pas une « belle » démonstration ?), Kant affirme que le Beau est un SENTIMENT (donc subjectif), lié au plaisir.

    Mais le sentiment de plaisir qui résulte d’un jugement esthétique, n’est pas celui de l’agréable qui est une SENSATION (comme prendre une douche en été, ou avoir le plaisir d’un chocolat chaud en hiver, qui nous donne un plaisir directement lié à nos sens).
    Ainsi, Kant nous fait remarquer que, contrairement à la sensation qui est immédiate ; le SENTIMENT de plaisir nait de la REPRÉSENTATION d’une sensation que nous livre notre imagination. Le Beau est ce qui nous invite à un plaisir qui n’a lieu ni dans nos rétines, ni dans nos tympans, mais bien « dans nos têtes »…

    Les années 80 étaient-elles si merveilleuses ? Personne n’a vraiment envie de le savoir, elles sont si loin! Le temps a retouché les ratés et les fausses notes faisant place à la seule idée dominante qui nous en reste : nous étions jeunes, très jeunes !
    Nous réécrivons notre histoire au gré des nécessités du présent, ce n’est pas un scoop. La musique des années 80, (déjà ringarde à l’époque) qui est entonnée en cœur, devient le support qu’utilise notre imagination pour faire redorer nos souvenirs. Notre mémoire revisitée nous arrache au présent, et nous ferait presque croire que nous revivons quelque chose de magique de cette période lointaine comme « remixée » par enchantement au son de quelques notes resurgies du passé.

    Le sentiment de plaisir qui nous gagne par quelques instants de grâce de ce film interminable, nous vient de ce que notre imagination nous livre une représentation renouvelée de nous même. Elle nous gratifie d’un plaisir dont nous avons besoin pour atténuer nos rides: penser que notre adolescence (souvent douloureuse) fut « mythique ».

    La vraie fausse note lancinante de cette cacophonie qui nous chante le Beau, est ce ridicule -qui lui ne vieillit jamais-, qui nous assaille à tout moment à l’idée que nous ressemblons certainement à toutes ces personnes bien trop réelles (elles), passablement décrépies.
    Timsit l’a dit lui-même: la musique suffisait, ils auraient pu nous épargner les « Stars».

  3. Première fois de ma vie que je lis un papier que j’aurais aimé écrire. Férocité de l’analyse et de l’écriture, c’est tellement parfait que j’en pleurerais.

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