Stars 80, Les Seigneurs, Astérix : c’est un fait, la comédie française va mal. Durant les jours prochains, Cinématraque va s’évertuer à pointer les rares derniers faiseurs de films français vraiment drôles. On commence aujourd’hui avec Eric et Ramzy. Oui oui, vraiment.
Eric, c’est le petit, Ramzy le grand. Eric a le plus gros potentiel burlesque – comprenez chutes qui font rire – depuis Pierre Richard, son idole, Ramzy, les épaules pour lui donner la réplique et laisser libre cours à ses mimiques enfantines, plus hilarantes les unes que les autres.
D’abord zigotos du paf, c’est avec leur série de sketches « Les mots » qu’Eric Judor et Ramzy Bedia ont crevé l’écran et trouvé leur créneau : jouer sur les mots, les intonations et les interactions :
D’emblée, il n’y a eu aucune place pour le sérieux. Pour une trame, à peine. Un tableau pour seul élément de décor, un fond noir, et les deux ahuris occupent l’espace comme personne. Il y a quelque chose de fascinant dans la vision de ces deux corps, l’un dégingandé au possible et l’autre trapu, teigneux, toujours à deux doigts de l’explosion. Sans le son, Eric et Ramzy, c’est encore mieux qu’une chorégraphie de Philippe Découflé.
Ramzy, c’est la trame, le comique façon Jamel Debbouze, assez calibré pour faire avancer l’histoire, et assez drôle pour ne pas se faire totalement écraser par son acolyte. Ramzy fut d’ailleurs longtemps le seul jugé capable de donner la réplique à Eric. Et lorsque les deux hommes sont sortis du schéma « leur binôme, moteur de chaque scène », ils ont « commis » Les Daltons, d’assez loin leur plus mauvais film, où leur duo était parasité par une histoire et d’autres acteurs bien en deçà.
Double Zéro est l’autre exemple de sabordage dudit duo : les scénaristes n’ont pas eu confiance en leurs deux acteurs, et leur ont tricoté une histoire dans laquelle des gags devaient s’insérer. Grosse erreur : chez Eric et Ramzy, c’est l’histoire qui doit s’adapter aux gags. Ainsi, dans Halal Police d’Etat, qu’un policier arabe se voit affublé d’un ridicule accent français suite à un enlèvement d’extraterrestres n’est pas un problème, pourvu que ledit accent soit hilarant. C’est en s’affranchissant de tout souci de cohérence que les deux bonshommes sont les plus forts. Ce côté Jacques Prévert, ils l’ont pigé via Mr Oizo.
L’affaire Quentin Dupieux aka Mr Oizo
2007, Eric et Ramzy ne sont plus aussi hype qu’ils ne le furent. Ils sortent des Daltons et de Double Zéro, deux semi-échecs commerciaux, deux mini-sabordages, et sont à deux doigts de tomber dans l’oubli, façon Elie Semoun, d’aller tranquillement conclure leur carrière chez Arthur. Leurs derniers fans sont à coup sûr éphémères, ce sont des ados qui ont su faire abstraction des nombreux défauts de leurs deux précédents films pour ne garder d’Eric et Ramzy que l’image H la série, Moot-Moot et La Tour Montparnasse infernale. Contre toute attente, Quentin Dupieux fait tourner le duo. Le film s’appelle Steak, une sorte de parodie d’Orange Mécanique, et est un OFNI assez parfait, mais passant à côté de son public. Mal vendu, il attire ces mêmes ados dans la salle, désappointés face à « l’humour du futur ». Et donc, l’oeuvre, aussi géniale soit-elle, figure dans la liste des 100 films les plus détestés des internautes Allociné. Car le film part de ce postulat selon lequel le spectateur ne peut y rire, puisque son humour est futuriste. Comme un pied de nez d’Eric et Ramzy, via Mr Oizo, à leurs nombreux détracteurs. Dans le futur, Ramzy serait finalement devenu populaire, lui qui n’était jusqu’ici que l’ombre d’Eric. Mais Eric referait son retard à vitesse grand V, apprenant en un rien de temps le fameux humour du futur, les codes du futur. Dupieux a pigé qu’à Ramzy, il incombait de se montrer maladroit, et à Eric teigneux pour tirer la quintessence du duo. Alors le film fourmille de trouvailles, et conforte les deux zigotos dans leurs idées parsemées çà-et-là du début de leur filmographie : c’est le culte, qu’ils visent, celui qui reste dans les esprits au risque de rester incompris au premier visionnage.
Et de film en film, ils semblent s’en approcher, gardant néanmoins toujours (et c’est là aussi leur génie) ce sens du compromis, du syncrétisme qui rend leurs films à eux cultes façon Steak, mais pas seulement, car également drôles au premier abord, façon La Tour Montparnasse infernale. Seuls Two, comédie tarée où Eric et Ramzy se retrouvent seuls dans un Paris désert suite à une malédiction, est de ces films-ci. Plein d’incohérences, le spectateur passe l’éponge sans ronchonner à coups de fous rires. Lesdites incohérences se révéleront comiques après plusieurs visionnages, apparaissant comme plus voulues qu’elles eurent pu en avoir l’air à priori. Pourtant, la dernière demi-heure du film rationalise le tout, et explique le « phénomène ». Alors, le rythme retombe quelque peu. L’écueil n’est pas reproduit dans Halal Police d’Etat, leur dernier film en date, leur chef-d’oeuvre, qui n’a jamais ce souci d’expliquer à tout prix. Ici, les prétextes sont pléthore, et juste énoncés, le spectateur acquiesçant, pourvu qu’il se marre.
Et là, le bât blesse. Eric et Ramzy sont des génies, mais à l’instar de tous les génies de l’ère moderne, ils peinent toujours à trouver leur public à eux. Evidemment, les entrées sont à chaque fois encore là (merci la promo due à leur statut de zigotos du paf), mais leur cible reste assez floue. Les critiques suivent de plus en plus, mais l’intelligentsia continue de bouder, la faute à l’image H la série. Les ados ont grandi et ne se retrouvent plus dans l’humour absurde du duo, seuls les enfants finalement rient sans complexe des accents et jeux de mots débiles des deux mecs.
Eric et Ramzy, c’est pour tous les âges. Pas une question de niveaux de lecture, non, tout le monde comprend la même chose. Ou bien personne ne comprend vraiment grand-chose.
Qu’est-ce que c’est con… Oui, mais drôle. Mais pourquoi diantre ?
Partagé entre la honte de rire aux âneries d’Eric et le bonheur coupable de se conforter dans sa peau d’enfant pipi-caca le temps d’un film, le spectateur tergiverse souvent beaucoup trop.
Et les fans sont moins nombreux que mérité…
Alors Eric commence à quitter Ramzy. Ramzy tourne assez mal (Il Reste du jambon ?, Les Seigneurs…), tandis qu’Eric devient grand, une sorte de Ricky Gervais à la française (Platane, Wrong). Pas ou peu de projets ensemble à venir, ils se font désirer par leur petit public d’admirateurs. Car il existe. Et je ne voudrais pas faire ma balance, mais je sais que notre rédac’ chef Thomas a un sacré faible pour les deux bonshommes. Surtout le petit. Aussi.
j’aime beaucoup votre slogan, et au passage j’aime beaucoup Eric et Ramzy et je suis d’accord avec votre critique
J’aime cette tentative de « réhabilitation » d’Eric et Ramzy car je les trouve drôles et que je suis aussi pour les défendre. Mais j’aimerais profiter de cette article pour rétablir une vérité (oui oui c’est moi qui ai raison) : Steak est un mauvais film. Pas tant à cause d’Eric et Ramzy que de Quentin Dupieux: cet homme ne sait pas construire des films. Steak et Rubber (je n’ai pas vu Wrong) sont des foutages de gueule. Je me permets d’être catégorique car on lui trouve tellement de génie que j’ai envie de faire pencher la balance un peu dans l’autre sens.
Cela dit l’article n’était pas sur Quentin Dupieux donc j’avoue que je m’emballe un peu (mais ça défoule).
Merci pour Eric et Ramzy.
Et merci pour ce site.