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Toute une frange du cinéma français est semble-t-il coincée dans une ligne de basse. Celle du séminal A Forest, en l’occurrence. Ce ne sont pas Mréjen et Schefer, ni papa Klotz (ni même Lescop), qui vous diront le contraire. Un poil moins guindé que les oeuvres de son père, le premier film de Héléna Klotz produit, l’air de rien, quelques vignettes séduisantes (une drague sur le quai d’une station de RER ; une reprise electro d’In The Ghetto, fredonnée dans un train de banlieue), et capte cette propriété qu’a l’adolescence d’être tout à la fois dans la pose et sincère (voir cette séquence où, en parlant poésie, les garçons regardent les filles qui se remaquillent, par la porte entrouverte des toilettes.)
C’est un certain esprit de la pop qu’exprime L’Âge atomique – quoi de plus naturel, pour un film qui emprunte son titre à Elli et Jacno – : naiseries et platitudes en guise de couplets, d’où émergent pourtant quelques jolies punchlines. « À Paris, y a rien à faire, juste marcher dans les rues, et attendre qu’il fasse un peu plus chaud, ou qu’il fasse un peu plus jour, qu’il fasse un peu d’amour… » Les mots de Taxi Girl scanderaient idéalement l’errance nocturne de Rainer et Victor – « C’est Paris, 1984. Ah, belle année », ironise Daniel Darc un peu plus loin. Et 2012, alors, c’est comment ? Pareil, à peu de choses près – trois décennies de cold wave en plus sur le dos… « Bienvenue, l’âge atomique, chantait Elli, quelle période magnifique : on dit que tout va sauter, oui, ça nous fait rigoler… »
Avant son dénouement « into the trees » (comme il se doit), le film, d’une mélancolie tenace, s’en sera surtout remis, sous son romantisme dix-neuvièmiste un peu passé, à une belle idée : le cinéma, ça se résume parfois à projeter des lumières sur des visages. Un peu de bleu, un peu de rouge : l’adolescence, au fond, tout lui va au teint.
Jérôme Wurtz
L’Âge Atomique est un film rare, précieux, fragile. Héléna Klotz nous plonge dans un récit nocturne, où l’on suit Victor et Rainer, deux adolescents qui décident de prendre le train depuis la banlieue, pour monter sur Paris. Le train vogue vers la capitale, dans les nappes de vodka ingurgitées par les deux garçons qui se cherchent, et tentent de définir leur amitié. Elle demeure floue. Tant mieux.
C’est dans cet entre-deux que se situe le film. Un état éthéré, où l’on pourrait reconnaître la romance de Rimbaud et Verlaine. Une histoire de vampires, aussi – pas celle de Bram Stocker, mais celle d’Anne Rice. Difficile de ne pas songer à Entretien avec un vampire, à l’histoire de ces deux amants / vampires, Louis et Lestat. L’un subissant la relation – Rainer, en double de Louis – et l’autre conduisant la nuit – Victor, l’image de Lestat. Un parcours initiatique, un renoncement au jour, avant de s’en remettre aux lumières artificielles ? Ce qui donnerait tout son sens à la séquence finale, dans la forêt : Victor regardant une dernière fois son reflet au bord de l’étang, afin d’accepter son devenir d’être de la nuit, et de disparaître avant le lever du jour, en regardant la seule lumière que puissent contempler les vampires : celle de l’aube.
Paris est un espace partagé entre le livre d’Anne Rice et le film de Héléna Klotz, les bords de Seine de particulier, où Victor et Rainer se rendent dans une boîte de nuit. Le lieu est rendu dans toute son étrangeté étrangeté de lumières artificielles, et met en valeur les dialogues qui, toujours, demeurent à égalité parfaite avec la bande-son composée par Ulysse Klotz. Celle-ci est omniprésente, voire écoeurante, et s’impose à l’image, sans le moindre souci de compromis. Nos oreilles commencent à se reposer sur le quai du retour, lors d’une séquence magnifique d’attente du premier train, où se produit une étrange rencontre, avec une jeune fille figurant, pour Victor, le moment du choix. Elle apparaît de manière pour ainsi dire fantomatique, et amène Victor à déterminer son choix, celui de conduire Rainer – son initiateur à la fin de sa vie humaine – dans la forêt.
L’âge atomique, de Héléna Klotz, avec Eliott Paquet, Dominik Wojchik, Niels Schneider, Mathilde Bisson, Clémence Boisnard, France, 1h08.
Ne serait-ce que pour faire résonner encore ce duo de critiques, j’eus bien aimé voir ce film qui ne passe pas dans ma province (Alsace)…