Extrait de conversation entre John Woo (JW) et Le Producteur Américain (LPA) :
- JW : Je pourrai filmer mes colombes au ralenti ?
- LPA : Bien sûr, mon petit ! (à ses associés, à voix basse) : Il en est fou. Faut pas y toucher, je vous expliquerai. (de nouveau à voix haute, à JW) : Alors ? Tu viens ?
- JW : J’arrive !
J’ai revu Volte/Face, pour la première fois depuis sa sortie en salles, en 1997. Avec une légère appréhension, car je me souvenais d’avoir été déçu, déjà, à l’époque, étant un fan absolu des films précédents de John Woo. Mes craintes se sont révélées bien en-deçà de ce que j’allais éprouver durant les deux grosses heures que dure le film : le sentiment d’un énorme gâchis.
Certes, le film est plus proche de l’univers et des thèmes originels du réalisateur hong-kongais que ses deux précédentes tentatives aux Etats-Unis, Chasse à l’homme (1993) et Broken Arrow (1996), franchement ratés. Par la suite, il y eut encore Mission: impossible 2 (2000) pour sauver les meubles, puis toute étincelle de folie et/ou de génie sembla s’éteindre chez Woo. Hollywood avait fini par l’avoir. Comme il le fait trop souvent avec ses cinéastes immigrants, il avait réussi à le fondre dans sa masse, arrondir les aspérités de son cinéma, atténuer sa mégalomanie, sa spontanéité, son audace.
Dans Volte/Face, les scènes d’action semblent édulcorées, réduites à une somme d’ingrédients qui fait tout sauf recette : un pistolet par main, souvent couché de préférence, des roulades improbables au beau milieu d’un terrain à découvert, des glissades sur le sol (ou n’importe quel autre plan incliné), des ralentis, des chargeurs qui tombent au sol… Tout y est, et pourtant rien ne fonctionne. Pourquoi ? Parce qu’aux Etats-Unis, un plan de film d’action ne peut pas durer plus de trois secondes, interdisant à Woo de déployer son art des plans-séquences époustouflants, qui, les premiers, nous avaient littéralement immergés dans l’action, à la manière d’un jeu vidéo (voir la séquence finale d’A toute épreuve pour s’en convaincre). Parce qu’aux Etats-Unis, la musique est forcément banalement rythmée, par peur peut-être (terrible aveu) que le spectateur s’ennuie pendant la scène ? Parce qu’enfin, il faut absolument que tout pète, que chaque balle provoque une déflagration : ainsi, un bateau tombant dans l’eau se doit d’exploser, et l’on ne compte plus les innombrables bidons de gaz, d’essence ou autres liquides hautement inflammables se trouvant « par hasard » dans le décor.
Dire que John Woo a tout perdu dans son pacte avec le diable américain serait tout de même faux. Avant tout, et même si Chow-Yun Fat est un acteur exceptionnel, le film rayonne de l’interprétation de Nicolas Cage, qui livre ici l’une de ses prestations les plus habitées, tour à tour froid et touchant, hautement diabolique et franchement apeuré. Un régal.
D’autre part, une fois avalée la pilule du changement de visages entre les deux héros (postulat technologique qui met tout de même une demi-heure à s’installer), le scénario développe des situations psychologiques assez intéressantes : combattre l’autre revient à se combattre soi-même, se mettre (littéralement) dans sa peau permet d’adopter son point de vue, et donc de tempérer la haine que l’on éprouve à son égard. Ainsi, Cage donne au visage de Travolta un sourire canaille et charmeur, qui reconquiert sa femme délaissée, tandis que Travolta, piégé dans l’apparence de Cage, se (le) découvre père d’un enfant innocent, et tout ce qu’il y a de plus mignon…
Mais évidemment, toute bonne chose ayant une fin, ou plutôt le contraire (toute fin devant apporter une bonne chose), la dernière scène vient bâcler royalement tout ce tissu psychologique péniblement mis en oeuvre. Lorsque Travolta rentre chez lui, en s’étant enfin ré-approprié son vrai visage, toutes les situations semblent s’être miraculeusement arrangées : les doutes sont oubliés, les traumatismes effacés. Sa fille n’a plus de piercing et ses cheveux ont retrouvé leur couleur naturelle : elle va donc mieux, et a cessé de se « chercher ». Sa femme se montre tout ce qu’il y a de plus tendre : elle a donc déjà oublié qu’elle vient de coucher, plusieurs jours durant, sous les traits de son mari, avec l’ennemi juré de celui-ci. Et, cerise sur le gâteau : tout le monde adopte le fils caché de Nicolas Cage. Effectivement, cela semble la meilleure façon d’effacer le traumatisme de la perte de leur jeune garçon, tué, six ans plus tôt, par… Cage, justement. Belle thérapie.
Dommage, donc, que John Woo n’ait réussi que très moyennement son passage aux Etats-Unis, ne retrouvant jamais la superbe de ses premiers films (Le syndicat du crime (1,2 et 3), The killer, Une balle dans la tête). De temps en temps, tout de même, une référence, un cadrage, une idée arrachent un sourire nostalgique. Et puis, tant qu’il y a des colombes…
Je te trouve un peu dur… certes le film n’atteint pas les sommets de ses chefs-d’oeuvre hong-kongais, mais ça ne l’empêche pas de donner une leçon de mise en scène de l’action à tout une génération de cinéastes hollywoodiens alors en éclosion (je pense évidemment à Michael Bay).
Quant à l’aspect psychologique, s’il manque parfois de finesse (ce qui est aussi souvent le cas dans ses oeuvres antérieures, ne nous voilons pas la face!), il est tout de même traité avec sérieux. Cette absence de second degré est d’ailleurs l’une des qualités principales du cinéaste dans un hollywood pourri par l’ironie, voire le cynisme.
Enfin, le duo d’acteur est à mon goût, assez époustouflant. Par contre, il est évident que ce n’est pas un film pour la télé…
Oui, j’avoue m’être fait un peu plus sévère que je ne le suis réellement… Mais, encore une fois, qui aime bien chatie bien, et qui adore saque à tout va!
Je reçois tes « dièses » sur la psychologie tenue avec sérieux, et sur le duo d’acteurs.
Par contre, sur la leçon de scènes d’action, je ne suis vraiment pas d’accord : je les trouve bâclées et peu palpitantes.
Et, si les élèves ont des mauvaises notes (Michael Bay en cancre de la classe), ça peut aussi être la faute du prof!