« The Impossible », le triomphe annoncé d’un divertissement infect

Juan Antonio Bayona, l’auteur de L’Orphelinat, commet un film d’une franche bêtise, aussi convenu dans sa conception du spectaculaire qu’indigne dans le traitement des évènements dont il s’inspire (le tsunami qui, en décembre 2004, frappa les côtes de l’Océan Indien).

Et livre au passage un hommage déconcertant au Jurassic Park de Spielberg.

Dès le tout premier plan, le ton est donné, l’aile d’un avion de ligne (celui dans lequel Watts, McGregor et leurs fils débarquent en Thaïlande, pour y passer les fêtes de fin d’année) frôlant la caméra dans un fracas terrible. Suivront quelques turbulences prémonitoires, évoquant un épisode de Destination Finale (comme celle-ci se cramponne à son siège, l’un des fils de Naomi Watts raille gentiment l’irrationalité de son angoisse), avant l’arrivée à l’hôtel, et l’exposition à gros traits d’une certaine idée du bonheur (la petite famille et les clients de l’hôtel participent, la nuit, sur la plage, à un lâcher de lanternes volantes – dans les faits, la scène est digne d’une réclame pour un opérateur mobile). Puis, le jour venu, l’image appuyée d’une mer étale, d’autant plus menaçante que le film s’était ouvert sur un écran noir bruissant de sonorités sous-marines… Par bonheur, cette montée progressive de l’angoisse, course de vitesse entre la vague et les nerfs du spectateur, ne dure pas, et c’est dans le sillage de la catastrophe (le chaos, les paysages désolés qu’elle laisse derrière elle) que s’engouffre Bayona.

Curieux projet, dès lors, que celui de l’auteur de L’Orphelinat, qui se borne à réciter son petit Spielberg illustré, et livre en douce un remake de Jurassic Park (dont on comprend que, loin d’être le meilleur film de son auteur, il aura néanmoins constitué une influence réelle pour bon nombre de cinéastes). En trouvant à recycler sa trame dans l’histoire autobiographique de Maria Belon (montage parallèle entre les parcours de Monsieur et Madame, l’enjeu du récit, au-delà d’un survival réglé d’avance, étant donc d’opérer la jonction), puis en pillant, en plus d’une foule de motifs (annonçant l’arrivée de la vague comme celle du T-Rex : rides à la surface de l’eau, chute de palmiers), des séquences entières : l’ascension d’un arbre en guise d’abri, le départ en avion des rescapés… Lorsque la famille, enfin réunie, considère, par le hublot, le territoire de son calvaire, et s’éloigne des côtes, difficile de ne pas songer au score de John Williams, dont Fernando Velàzquez, compositeur attitré de Bayona, semble alors plagier les premières mesures. À moins que notre cerveau, après bientôt deux heures d’emprunts éhontés, n’en reconstitue lui-même la partition ?

Mais si Bayona évoque l’auteur d’E.T., c’est aussi (et c’est plus incommodant) dans sa façon d’appliquer indifféremment le même traitement à chaque sujet, quelles que soient sa prise au réel ou ses implications morales (et que résume l’anecdote rapportée par Stéphane Delorme dans les Cahiers du Cinéma : Spielberg bouclant le montage de Jurassic Park pendant le tournage de La Liste de Schindler). Un cinéma impropre à faire la part des choses entre un T-Rex et une catastrophe naturelle, une attaque d’extraterrestres et un régiment de la Wehrmacht, ravalant tout – croyant de surcroît l’élever – au rang de spectacle.

Le souci, c’est enfin que, dudit spectacle, Bayona n’exploite à vrai dire que les voies les plus éculées : sentimentalisme grossier, fixation doloriste sur son héroïne (gros plans sur son visage en souffrance,  ingestion et rejet de corps étrangers, sans compter un procédé avant/après des plus douteux : Naomi Watts, la veille du tsunami, filmée dans un contre-jour aux teintes ocres, le contour de son sein se dévoilant doucement, devient Naomi Watts au sein percé, sous les yeux horrifiés de son fils), retrouvailles familiales différées par un vaudeville final aussi virtuose que vain (enfants et parents se croisent, sans se trouver, dans les allées d’un hôpital), déluge de violons et de ralentis, design sonore épousant les codes du cinéma de genre, considérations cosmogoniques de Geraldine Chaplin… Très loin, donc, du savoir-faire d’un Spielberg en petite forme, et sans la moindre des fulgurances formelles propres à ses plus beaux films.

Avanies que parachève, en regard du happy end dont bénéficient ses héros occidentaux, le traitement réservé à la population thaïlandaise, reléguée au rang de figurante, n’existant que collectivement, ou plus communément ignorée.

Retour aux tout premiers instants du film : sur l’écran noir évoqué plus haut, avant même la première image, la mention Tiré d’une histoire vraie s’efface partiellement, pour ne laisser à l’écran, un instant de plus, qu’histoire vraie – manière d’insistance sur l’argument censé faire autorité, passe-droit du film, voué à l’exonérer de tous les errements. Peu importent les déclarations d’intention de l’auteur (rendre hommage à la bravoure des survivants, célébrer les vertus de l’entraide) : pour ses quelque 230.000 victimes, le tsunami de 2004 fut une catastrophe naturelle ; pour Bayona, il n’est qu’une météorologie du spectacle.

Le film, déjà sorti en Espagne, y a réalisé le meilleur démarrage de l’histoire. Le triomphe paradoxal d’une vision éculée du spectacle, et d’une certaine idée de l’indignité.

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16 thoughts on “« The Impossible », le triomphe annoncé d’un divertissement infect

  1. Allez, je sens la vaine tentative des critiques d’aujourd’hui de refaire de la polémique moralisatrice à deux balles façons Rivette sur « Kapo »….ou quand la vision de l’un doit forcément faire force de loi et quand il vaut mieux prendre chaque sujet avec des pincettes plutôt que d’y aller à fond sous peine de se prendre une fatwa intello dans la gueule.

    Vive la France (et j’attends d’ore et déjà les critiques qui commenceront par un « en fait, j’ai pas vu le film mais… »

    La tartufferie à encore de belles heures devant elle

    1. Ce film me pose problème, ai-je le droit d’écrire sur le sujet, et d’expliquer pourquoi ? Il n’y a par ailleurs aucune démarche polémique de ma part. La polémique, c’est plutôt vous qui, par le ton de votre réponse, la suscitez… Et pourquoi généralisez-vous ? Qui sont les « critiques d’aujourd’hui » dont vous parlez ? De quelle autorité secrète les croyez-vous capables ? Ça ne veut plus dire grand-chose, « les critiques d’aujourd’hui »… Nous ne sommes plus au temps du Rivette des Cahiers, justement… Et je n’ai pas l’impression que le film déclenche un tollé parmi « les critiques d’aujourd’hui »… (Et quand bien même ce serait le cas : noyés dans la masse promotionnelle, ils ne pourraient pas grand-chose contre les millions d’entrées promises au film) Allons, ne craignez rien, passez la tête à la fenêtre, ouvrez la porte, faites quelques pas dehors : vous voyez ? Rien ne se passe. Aucune fatwa ne vous est tombée dessus. Et pour cause : elle n’existe que dans votre tête.
      Alors, voilà le deal : je veux bien discuter du film, mais certainement pas sur ce ton-là. Et vive la France.

  2. Oh shit man, Spielberg c’est qu’un connard de faiseur de pop corn qu’a influencer des cons avec ses films cons??? Puis entre les sujets « sérieux » et le divertissement , t’as pas le droit de passer de l’un à l’autre, c’est faute morale???

    Bon hormis les remarques hs sur spielberg, je suis déçu de l’accueil du nouveau Bayona, qui avait épaté les fans de fantastique avec son premier film…j’espère que c’est quand même pas aussi lourd que le Eastwood…

    1. On a bien le droit de passer d’un sujet « sérieux » à un divertissement – la question étant précisément de « passer » de l’un à l’autre, plutôt que de les confondre. Filmer une catastrophe naturelle (récente et ayant fait 230.000 victimes) comme une attaque de dinosaure, moi, je trouve ça plutôt moyen… Qu’il y ait une dimension de divertissement dans le traitement d’un sujet « sérieux », ça ne me pose pas de problème (rassurez-vous, je ne vois pas des fautes morales partout 😉 mais il y a des limites, tout de même, non ?

      Je reproche donc à Bayona d’opérer le même genre de confusion que Spielberg dans certains de ses films, c’est tout.

      Et je ne dis pas que Spielberg est un connard de faiseur de pop corn, détrompez-vous : c’est au contraire un de mes cinéastes préférés…

      1. « Je reproche donc à Bayona d’opérer le même genre de confusion que Spielberg dans certains de ses films, c’est tout. »

        ouais, ou alors vous prêtez à Spielberg des intentions qu’il n’a pas et des confusions qu’il ne fait pas, ayant totalement compris le principe du « cinéma », à contrario de vous apparemment.

        « Et je ne dis pas que Spielberg est un connard de faiseur de pop corn, détrompez-vous : c’est au contraire un de mes cinéastes préférés… »

        hé ben, on dirait vraiment pas, vous le cachez trés trés bien alors.

        1. Le sujet n’était pas Spielberg, mais le rapport de Bayona à Spielberg : aussi ne me suis-je pas senti tenu de dresser l’éloge de l’auteur de La Guerre des Mondes.
          Par ailleurs, je ne me prétends pas le taulier de la doxa du cinéma – je pense simplement que celui-ci ne se résume pas (du moins, suis-je porté à le croire) à une somme de procédés visant à produire un effet émotionnel, et qu’il peut aussi, de temps en temps, sous-tendre ou supposer un sens (sans rien gâcher du spectacle, rassurez-vous).

          Et je ne prête pas d’intentions excessives à Spielberg : ça ne m’empêche pas de penser que ses films (comme toute production artistique) expriment des choses qu’il n’a pas consciemment voulues, et qui font de lui un « auteur », au même titre que celles qu’il y aura intentionnellement exprimées. Enfin, je dis ça, mais c’est en toute modestie, étant donné que, d’après vous, je ne comprends rien au « principe du cinéma ».

          Enfin, en ce qui concerne ma passion pour Spielberg, il me semble que je fais référence, dans le texte (et bien que cela ne soit pas le sujet, encore une fois), aux « fulgurances formelles » des « plus beaux films » de Spielberg, ce qui peut tout de même donner à penser que je ne déteste pas tout à fait l’auteur. On dit parfois qu’il faut savoir lire entre les lignes. A défaut, la prochaine fois, commencez par lire toutes les lignes. Ce sera un début.

      2. Je n’ai pas vu le film de Bayona et ait surement des films plus intéressant à mater en ce moment (le très bon Argo par exemple)…mais dsl d’avoir un peu mal réagi, j’en ai assez d’entendre les bon vieux discours « Rivette style » comme quoi Spielberg filme la shoah comme une attaque de dinos ou d’extraterrestres, que c’est un connard immoral…Cela ne vous est jamais venu à l’idée qu’il ait assumé l’idée de filmer l’invasion d’extraterrestres comme la shoah au contraire, faisant de War of the Worlds l’anti ID4? Spielberg prend des sujets dits « légers » ou « divertissants » et les traite avec sérieux, y incorporant ses thématiques (bon j’avoue j’ai pas revu Jurassic Park, mais trouver des films bien plus putassiers, ça doit pas être bien dur ^^) …
        Mais enfin rassurez moi, le Bayona n’est quand même pas aussi balourd que le Hereafter d’Eastwood (vraie douche froide) ???

        1. Je n’ai jamais dit que Jurassic Park était putassier, loin de moi cette idée (l’emploi qu’en fait Bayona, c’est autre chose)… Et je suis d’accord avec vous lorsque vous dites que, chez Spielberg, des projets à priori légers sont vecteurs de motifs, de thématiques, d’images beaucoup moins innocentes (c’était déjà le cas, quoique moins littéralement, à l’époque de Duel, des Dents de la Mer, ou du premier Indiana Jones), je n’ai jamais prétendu le contraire !
          Sur ce sujet précisément, j’ai d’ailleurs signé un texte pour Les Fiches du Cinéma, à l’époque de la sortie de Cheval de Guerre (si le coeur vous en dit… nous serons sans doute d’accord sur certains points 😉

          http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?article3114

          Ce qui me gêne, c’est justement lorsque le mouvement inverse s’opère (du moins, de la façon dont procèdent Spielberg dans certaines séquences de La Liste de Schindler ou d’Amistad, donc, et Bayona sur toute la durée de son film)… Mais encore une fois, le sujet était moins Spielberg que le rapport de Bayona à celui-ci.

          Et pour vous répondre, franchement, en termes de spectacle à proprement parler, je trouve The Impossible très en-dessous de sa réputation (je n’aime pas beaucoup le film d’Eastwood non plus, d’ailleurs), à l’exception d’une séquence, en toute fin, où l’on voit Naomi Watts chahutée (le mot est faible), sous l’eau, par les courants. Cette séquence est assez bluffante.

          Par ailleurs je suis très heureux que vous évoquiez La Guerre des Mondes : c’est pour moi un très grand film…

  3. Chère Anne-C, je vous propose de vomir dans la bouche de Thomas, histoire de faire d’une pierre deux coups et de rendre un grand service à l’humanité.

    1. Cher Petaire,
      C’est promis, Anne-C et moi étudierons votre proposition avec soin. Quoi qu’il en soit, merci pour votre participation à notre site, et n’hésitez pas à revenir : je sens qu’avec vous, nous sommes entre cinéphiles, et que le discours critique, c’est pour ainsi dire votre dada. Gros bisous.

    1. Je découvre le site et j’apprécie beaucoup vos critiques ! Et si vous voulez décourager les gens d’aller voir un film, dissuadez les d’aller voir « Une nouvelle chance », je me suis faite couillonner par le produit d’appel « Clint » et je ne me remet toujours pas d’avoir dépensé de l’argent pour cette daube…

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