Peu de temps après la sortie du très bon Les Nouveaux Chiens de Garde, de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, un nouveau film s’intéresse de près à la relation qu’entretiennent médias et grands groupes industriels. En partant d’un dispositif volontairement simpliste de mise en abyme, le réalisateur Julien Despres se met dans la peau d’un jeune apprenti-reporter cherchant à comprendre la profession, afin de devenir un « bon journaliste »… et s’aperçoit que cette expression pourrait bien, de nos jours, s’avérer désuète, tant les contraintes de productivité, la précarité des emplois et le contrôle des sujets « politiquement corrects » brident toute créativité, tout travail en profondeur. Loin des quelques grands noms de l’information, le réalisateur a cherché à rencontrer la masse des pigistes et rédacteurs en tous genres, souvent sous-payés, qui travaillent au sein des rédactions des grands groupes de presse et de télévision : aucun ou presque n’a voulu s’exprimer, preuve qu’il existe une véritable omerta au sein du milieu sur l’état de la profession. Ceux qui se sont prêtés au jeu sont des journalistes indépendants, des militants, des retraités – ceux qui continuent à croire que leur métier consiste en autre chose que de faire le relai, à la hâte, des dépêches AFP.
Dans sa construction, Profession Journaliste est un peu fouillis ; c’est souvent le cas lorsqu’un documentaire s’étoffe petit à petit autour de la couverture d’un sujet originel, qui en devient le déclencheur (en l’occurrence, l’affaire de la fusion de RFI et France 24, finalement avortée). Ainsi, le film porte dans sa forme la complexité et la diversité des recherches de son auteur : interviews diverses (historiens et journalistes), archives (actualités des années 39-40, pages du vieux journal « Combat »), plans de situations et reconstitutions « faites maison », voix-off à l’appui, afin de faire tenir tous ces éléments ensemble…
Mais au moins Julien Depres évite-t-il (presque) toute manipulation du spectateur, loin des contradictions abusives auxquelles peuvent aboutir, à grands renforts de montages trompeurs, des documentaires plus démonstratifs (ceux de Michael Moore, par exemple). Et, du coup, un simple plan fixe sur des mains tournant les pages d’un grand journal, et y trouvant plus de publicités pour produits de luxe que de contenu écrit, ou le récit édifiant d’un journaliste qui a eu le culot de vouloir faire son travail lors d’un voyage de presse s’apparentant plus à une opération de communication millimétrée, nous font à eux seuls prendre conscience de la véritable crise que traverse le monde de l’information aujourd’hui.
Profession Journaliste est donc un documentaire réussi, mais qui paye le prix de la liberté (en terme de financements, donc d’opinions) dans laquelle il a été conçu. A Paris, le cinéma La Clef, fidèle à ses excellents partis pris de programmation, va le diffuser. Ensuite, à travers les rencontres, les festivals, les soirées-débats, il ne reste plus qu’à espérer que le film suive un parcours satisfaisant. Car, comme les journalistes en quête de vrais sujets montrés dans le film, un cinéaste en quête de vrai cinéma évolue, malheureusement presque toujours, dans les circuits parallèles. Surtout ces temps-ci. La meilleure manière de le soutenir est aussi la plus simple : aller le voir.