Après le visionnage, à Cannes, de la pénible Confession d’un enfant du siècle, j’appréhendais grandement le Jane Eyre de Cary Fukunaga, auteur du remarqué Sin Nombre en 2009. J’avais raison.
Et pourtant tout semblait pour une fois réuni pour combiner, avec un minimum de subtilité, le grandiloquent de la mise en scène et la simplicité des sentiments : les décors, la lumière, les costumes (nominés aux Oscars), et surtout les comédiens, Mia Wasikowska et Michael Fassbender en tête. La première heure (car il y en eut deux !) se révèle en effet assez captivante ; et puis, de façon implacable, l’inanité du propos affleure, émerge, et finit par éclater au grand jour.
Après tant d’effets, de rebondissements, d’hésitations, de fausses fausses pistes, le « suspense » est levé, les barrières morales, légales, et psychologiques également, et, enfin, les deux amoureux s’embrassent. Alors, le spectateur que j’étais tenta de retracer, à la manière d’un scribe, les étapes qui l’avaient amené là :
1 – Jane, la gouvernante, aime Rochester, son employeur.
2 – Rochester aime Jane. (fin du film*)
3 – Rochester fait fi de la différence de rang, ainsi que de son ennuyeuse fiancée, et décide d’épouser Jane.
4 – Le jour du mariage, coup de tonnerre : Rochester est marié depuis 15 ans.
5 – Détail : sa femme est folle, et il la cache dans sa chambre depuis toujours.
6 – Jane prend la fuite, et se réfugie chez un paroissien.
7 – Le paroissien finit par la demander en mariage : en réaction, elle entend la voix de Rochester qui l’appelle.
8 – Elle revient sur les lieux : le château a brûlé, la femme de Rochester, à l’origine de l’incendie, a péri dans les flammes, Rochester est devenu barbu et aveugle.
9 – Ils s’embrassent.
Mais si, j’ai un coeur… Bien sûr que tout cela est beau, et que c’est parce qu’elle a toujours manqué d’amour et d’affection dans son enfance que Jane Eyre y aspire avec autant d’idéal… Mais, si l’amour est assez fort pour passer outre les conventions sociales, pour se moquer des codes et des jaseries, pourquoi diable ne pas passer outre la loi ? Pourquoi ne pas inventer le divorce ? Là, au beau milieu du XIXème siècle ?
Bien pire, la folie de la première femme de Rochester semble ici une donnée de l’histoire ne servant qu’à donner du crédit à Rochester (puisqu’il l’abrite, dit-il, de la cruauté de l’asile). Et, comme ni les institutions ni la loi ne peuvent régler le problème, une seule solution : le suicide de la folle. Comme ça, tout le monde est content ! Mais, pour expier ses mensonges, Rochester doit bien sûr payer une taxe : il sera donc aveugle. La chair est ici tout sauf source de plaisir, mais plutôt une ardoise sur laquelle sont notées chaque manquement aux règles, morales, sociales, et religieuses…
Quel ennui ! Ce film n’aura éveillé en moi aucune envie, si ce n’est celle de me renseigner sur la possibilité médicale qu’une action combinée de la fumée d’incendie et du chagrin conduise à la cécité…
François Barge-Prieur
*ha ha ha!
Jane Eyre, Cary Fukanaga, avec Mia Wasikowska, Michael Fassbender, Jamie Bell, Etats-Unis / Grande-Bretagne, 1h55.
Rectification : il ne s’agit pas de porter atteinte à l’auteur en cas de modification de l’intrigue mais je pense que le réalisateur a voulu rester fidèle au roman, donc, oui, cela ne nous paraît pas vraiment crédible mais l’adaptation se veut classique donc elle respecte la trame de Charlotte Brontë.
« Rochester aime Jane. (fin du film*) » : j’adore quand ça spoile à mort.
La question de l’adaptation de ce classique de la littérature anglaise ne repose pas sur l’originalité du script puisque modifier l’intrigue et les personnages serait porter atteinte à l’auteur en quelque sorte, il est dommage que tu ne nous donnes pas plus ton avis sur la mise en scène, le jeu des acteurs ou autres puisque c’est là que l’adaptation doit apporter quelque chose, sinon, autant se contenter du roman.
C’est pourtant tout à fait fidèle au roman de Charlotte Brontë. L’as tu lu???