Le Roi Lion est mort, vive le Roi Lion

Ici comme partout ailleurs, on s’obstine et persiste à écrire encore et toujours, à discuter sans relâche et à penser toujours davantage l’empire Disney. Nous sommes en juillet de l’année 2019, et la bande à Mickey a sorti un film d’animation (Les Mondes de Ralph 2), un film Pixar (Toy Story 4), trois Marvel (Captain …bah, Marvel, Avengers: Endgame, Spider-Man: Far From Home), et trois films reprenant des classiques d’animation : Dumbo puis Aladdin et enfin Le Roi Lion, sujet de ce texte. Il reste encore la suite du Disney animation le plus populaire de tous les temps, La Reine des Neiges 2, et la conclusion de la nouvelle trilogie Star Wars pour compléter l’année… Tout ça, avant que le rachat de la Fox ait réellement impacté la production.

Pourquoi s’entête-t-on alors à parler de ce géant qui écrase toute la concurrence sans le moindre effort ? Parce que Disney est à l’image de l’Amérique, c’est-à-dire des Etats-Unis : un empire qui suscite tout autant la fascination que la répulsion. Un colosse qui séduit grâce à la beauté de ses pieds d’argile, et terrifie par son imposante stature, son ombre jetée sur le monde qu’il façonne à son image : Disney dessine la Chine à sa manière dans le prochain Mulan, l’Orient mythifié dans l’indigeste Aladdin, et revisite le folklore nordique de la Petite Sirène – au grand dam des suprémacistes blancs – en lui imposant une artiste afro-américaine très talentueuse dans le rôle d’Ariel. Disney, c’est enfin un immense paradoxe : celui de créateurs et de créatrices qui ont bercé notre enfance, notre adolescence, et nos vies adultes, qui cohabitent avec une puissance capitaliste qui ne semble connaître aucune limite.

Rien n’illustre mieux à ce jour ce double mouvement de fascination et de répulsion que le remake du Roi Lion par John Favreau, long métrage prétendument en « live action » ou prises de vues réelles, mais qui n’est en réalité qu’un nouveau travail d’animation 3D par ordinateur, qui se veut photoréaliste. En effet, comme le réalisateur l’avait déjà expérimenté à travers sa relecture du Livre de la Jungle, tous les animaux de la savane sont des créations numériques pensées pour ressembler à deux gouttes d’eau aux vrais ; ce qui évite la maltraitance animale, un point important à soulever. Et qui évite qu’un film comme Roar existe, ce qui pour le coup est bien dommage. Regardez Roar. Autre choix important de John Favreau, il a demandé à ses animateurs de ne jamais insuffler d’émotions humaines sur les visages des personnages. On se trouve donc presque face à un Disney Nature… Presque étant mot-clé ici. Car les animaux parlent, bien sûr, ce qui arrive rarement dans un Disney Nature.

« Vous êtes bien sur National Geographic, tout de suite un documentaire sur la faune de la vallée de l’étrange »

On pourrait parler de la prouesse technique, qui est véritable, mais à quoi bon ? Beaucoup se branlent déjà assez sur ça. Par contre, on peut s’attarder sur un article de presse américain qui a annoncé ce film comme une « expérience jamais vécue au cinéma auparavant ». Parce que oui, c’est entièrement vrai. Disney a repris quasiment à l’identique – à l’exception d’une ou deux scènes et de quelques répliques – toutes les séquences de son dessin animé le plus iconique. C’est le Psychose de Gus Van Sant version 2019. Jamais on n’a vu un truc pareil, avec une technologie pareille, c’est indéniable. Attention cependant à savoir pourquoi on va au cinéma ; si c’est pour réfléchir au médium, à la narration, à ce que c’est que l’animation, alors Le Roi Lion 2019 est parfait pour vous. Si c’est pour voir un bon film, ressentir les frissons que procure l’original, ou même passer un bon moment… C’est déjà un problème bien plus épineux.

La question au cœur de tous les remakes Disney, de Cendrillon aux futurs Mulan et La Petite Sirène, (sans compter Maléfique et les Alice qui résultaient de vrais partis pris) la voici : à qui s’adressent ces films ? La logique économique est claire comme de la Volvic, le premier remake a fait un carton donc on continue d’exploiter le filon sans fin. Pour que Disney abandonne, il faut qu’il n’y ait pas de retour sur investissement ; le film Solo en est un bon exemple, puisqu’il a coupé court à tous les projets de longs métrages spin-off de Star Wars dans un futur proche. La faute à un box office médiocre, il n’y a pas de secrets. A côté de cela, La Belle et la Bête version Emma Watson a engrangé autant d’argent au box office international en une semaine que l’original durant tout son run… Pourquoi grand Dieu est-ce que Bob Iger, patron de Disney et ancien proche de Trump, dirait non à tout ça ? Disney aime tellement l’argent que même si tout le monde sait que les scénaristes et storyboarders du Roi Lion d’origine ne reçoivent aucune compensation pour ce pastiche 2019 (l’animation ne rentrait pas dans le syndicat des scénaristes en 1994), ils ne feront rien pour régler ce problème. Et encore, nous éviterons ici de nous lancer aussi sur le sujet du Roi Léo

Belle image qui résume bien la position du remake face à l’original.

Mais soyons honnêtes un instant. S’il n’avait pas à souffrir la comparaison, le film de John Favreau serait nettement plus apprécié. Son sens de la mise en scène reste aiguisé, le combo Elton John/Hans Zimmer à la musique est démentiel, les comédiens et comédiennes de doublage s’en sortent très bien (même si l’on peut déplorer que seuls les acteurs blancs du cast bénéficient d’une marge de manœuvre dans leur interprétation; les autres étant condamnés à l’imitation, et donc à limiter le souffle dramatique ou comique de leurs interventions). L’histoire déchire, c’est visuellement très beau… Mais voilà. Le Roi Lion de 1994 existe. Et ce n’est pas comme si l’on parlait du remake d’un Disney que personne n’a vu, genre Oliver et Compagnie… On parle du putain de Roi Lion. Une prouesse remarquable d’animation et d’écriture qui a vu le jour à une époque où les studios Disney se permettaient encore des prises de risque. Aujourd’hui, ils sont plus riches que le Wakanda, pourquoi s’embarrasseraient-ils du danger ? Avant, ils se riaient du danger par témérité. Maintenant, ils en rient par cynisme ; ce remake va exploser le box office.

Par effet inverse, l’intérêt majeur de ce film est de nous donner envie de revoir encore et encore le film de 1994. Le mimétisme mène donc à la résurgence nostalgique, et à la réévaluation de ce qui était déjà un chef d’œuvre absolu. La richesse incroyable des couleurs, l’ingéniosité des séquences dans leurs mouvements, la vie resplendissante qui transparaît sur les visages des animaux… C’est le souvenir d’un cinéma défunt, un art perdu qui a été déterré puis ramené à la vie comme dans Simetierre de Stephen King, comme une sorte de zombie maléfique qui ne nous veut que du mal. La comparaison est amère, difficile, et violente ; parce que l’animation traditionnelle permet des choses que ce remake ne peut pas recréer, notamment dans le dynamisme des scènes, dans un certain affranchissement du rapport au réel. L’animation a un pouvoir plastique parce qu’elle est élastique, elle donne à voir par le mouvement les émotions et les actions. Le réalisme imposé et jamais transgressé dans le film de Favreau, lui, contient les sens plutôt que de les exalter.

Oui, je sais c’est traître de ma part d’avoir foutu ce gif. Mais sans déconner, regardez l’animation du visage, des oreilles et de la crinière naissante, la composition du plan, le layout du brouillard, les couleurs déjà ternes à l’arrière… C’est incroyable !

Enfin, ce remake permet de donner à voir une autre évolution indiscutable des majors américains : l’uniformisation des structures narratives. Quand Le Roi Lion a été écrit, Blake Snyder et son célèbre manuel d’écriture Save the Cat – indiquant comment composer un scénario à la page près – n’avait pas encore commis des ravages au sein d’Hollywood. Voir un film comme Le Roi Lion en 2019, étiré d’une bonne demi-heure (toujours pour des questions de dynamisme du medium), c’est aussi être confronté à un scénario qui, dans ses séquences, n’aurait jamais été accepté comme tel par le studio. Et pourtant, l’original est un classique indémodable…

Mais à quoi bon se plaindre ? A quoi bon se lamenter sur la tournure que prend l’univers de Mickey dans nos imaginaires collectifs, et surtout dans ceux de nos enfants ? Leurs films Marvel sont déconnectés de toute réalité populaire. Leurs remakes, bien qu’accompagnés d’actions sociales, d’importants choix en termes de représentation, témoignent d’une vision du monde obtus et désespérement capitaliste. Il reste leurs films d’animation, et dans une certaine mesure les Star Wars pour insuffler de vraies réflexions, essentielles au sein d’un empire médiatique jamais inquiet. Mais dans la jungle hollywoodienne, terrible jungle, le Lion Disney ne dort jamais… Et s’il faut tuer le vieux pour remplacer par le neuf, il le fera sans relâche. C’est, comme on dit, le cercle de la vie.

Le Roi Lion, de John Favreau. Avec James Earl Jones, Donald Glover, Beyonce Knowles, Chiwetel Ejiofor, John Oliver, Seth Rogen. Sortie le 17 juillet 2019.

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2 thoughts on “Le Roi Lion est mort, vive le Roi Lion

  1. Salut, juste pour dire à Captain Jim que s’il lance une cagnotte pour financer ses T-shirts Lubitsch, j’investit immédiatement. Sinon, très bon texte aussi.

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