High Flying Bird : Soderbergh monte à l’arceau

Toujours pas intéressé par une retraite qui nous a été probablement annoncé aussi souvent que celle de Michel Sardou, l’infatigable Steven Soderbergh poursuit ses expérimentations récentes sur les formats de tournage légers. Après l’iPhone 7 Plus d’Unsane l’an dernier, c’est avec son petit frère huitième du nom que le cinéaste a orchestré le tournage riquiqui de High Flying Bird en une grosse quinzaine de jours et deux millions de dollars. Suffisant pour taper dans l’oeil de Netflix, pas refroidi par le sujet de ce drame sportif ni par son traitement.

High Flying Bird est un film de sport qui n’a de sport que le titre. Il prend place dans les coulisses d’une NBA secouée par un lock-out, terme barbare qu’on pourrait comparer à un shutdown, pendant lequel la ligue se retrouve mise sur pause pour cause de différends financiers entre joueurs, propriétaires, décisionnaires et diffuseurs. Rien de farfelu car la NBA y a été confrontée à plusieurs reprises au cours de son histoire, le dernier épisode du genre en 2011 ayant clairement inspiré le scénario signé Tarrel Alvin McCraney, dramaturge à l’origine du script de Barry Jenkins pour Moonlight. Ray Burke (André Holland), influent agent de joueurs au sein de la firme de David Starr (Zachary Quinto), s’inquiète des conséquences du lock-out sur son jeune poulain Erick Scott (Melvin Gregg, qu’on avait par ailleurs déjà vu en tenue de basketteur dans la saison 2 de l’excellente American Vandal, toujours sur Netflix). Dans le même temps, il se met en tête de recruter son futur client, Jamero Umber (Justin Hurtt-Dunkley), annoncé comme le futur crack de la prochaine draft…

Autant mettre dans l’ambiance tout de suite, High Flying Bird n’esquive jamais la complexité de son sujet, quitte à rebuter le spectateur lambda. Ce n’est pas tant qu’il aime aligner les termes techniques et les références comme les trois points de Stephen Curry. Les connaisseurs se régaleront certes de quelques clins d’oeil comme celui de l’affaire Donald Sterling (l’ex-propriétaire des Clippers évincé de la ligue suite à des propos racistes en 2014), et de l’apparition de trois joueurs NBA en activité venues apporter leurs témoignages en parallèle de l’intrigue principale : Reggie Jackson (AKA le meilleur ami de Blake Griffin), Karl-Anthony Towns (le joueur préféré de notre cher Wade, qui n’hésite pas à envoyer ses feuilles de stats par SMS à l’auteur de ces lignes même à 4h du matin) et la nouvelle pépite du Jazz Donovan Mitchell (coéquipier de notre Rudy Gobert national). Mais l’essentiel est ailleurs, dans la volonté du film d’explorer les arcanes de la NBA, notamment à travers la myriade de clauses et autres engagements qui composent, sournoisement, la vie de jeunes talents parfois enchaînés à leur franchise et à leur ligue.

Don’t Lock-Out Back in Anger

Le choix de se concentrer sur les rookies, ces jeunes joueurs dans leur première saison auréolés de leur tout premier contrat, n’est pas innocent. High Flying Bird s’imbrique ainsi dans une démarche actuelle de remise en cause des structures d’encadrement des jeunes athlètes américains, notamment dans la fiction. High Flying Bird trouve ici écho dans les critiques récurrentes adressées autour de la NCAA, le championnat universitaire américain et antichambre de la NBA, décrié par des personnalités médiatiques de premier rang de LeBron James à John Oliver pour son exploitation de ses jeunes athlètes. La récente saison 4 de Ballers, la série de HBO de Dwayne « The Rock » Johnson, y allait aussi de son taquet adressée à NCAA, cette fois-ci du côté du football américain, autre sport majeur du pays de l’Oncle Sam. Pour compléter le tableau, cette thématique était aussi traitée dans un autre film de basket produit par Netflix et sorti l’an dernier, Amateur (nettement moins accompli cinématographiquement parlant, on vous prévient tout de suite).

Melvin Gregg as Erick Scott and André Holland as Ray Burke in High Flying Bird, directed by Steven Soderbergh.

Ici cependant, pas de récit d’ascension fulgurante ou contrariée à la He Got Game ou à la Hoop Dreams. High Flying Bird est avant tout une série quasi sorkinienne de dialogues dans des coulisses de gymnases ou de bureaux de la skyline de Manhattan. Et on comprend vite ce qui a séduit Soderbergh dans ce film qui adopte très rapidement les codes du film de casse, mais d’un film de casse où tout ne s’opérerait que par la parole et l’influence. Son goût pour les espaces intimistes, les jeux sur les plongées/contre-plongées dans les rapports de force et le décadrage, tout participe de la liberté créative apportée par le recours à l’iPhone. Loin du simple effet de manche, le dispositif place le spectateur dans la position du confident, celui qui assiste et épie. Son film est aussi sec que ramassé (1h30 montre en main), mais s’avère bien plus que la récréation mineure à laquelle on s’attendait.

Basketball Never Stops

« Le basket ne s’arrête jamais ». Ce slogan devenu culte pour les amateurs de balle orange était celui d’une grande campagne marketing menée par Nike pendant le lock-out de 2011. Pendant que tous les preneurs de décision s’écharpaient pour choper leur part du gâteau, les LeBron James, Kevin Durant et autres Kobe Bryant faisaient vivre l’esprit du basket dans la rue et les gymnases à travers le pays, s’invitant sur des playgrounds mythiques (les 66 points de Durant à Rucker Park ont encore aujourd’hui plus de valeur que ses deux bagues à Golden State) et dans les tournois de pré-saison généralement réservés aux rookies et aux tricards à la recherche d’un contrat en bout de banc. Pendant quelques semaines, alors que la planète entière attendait la reprise de la saison, cette campagne a fait vivre l’idée d’un basket alternatif revenant à ses racines populaires.

« I love the Lord and all his black people »

La plus grande force de High Flying Bird est de nous rappeler que cette narration développée autour des sportifs les plus puissants de ce sport est justement ce qu’elle est : une narration. Et que dans l’ombre, ce genre de situation de crise n’est que le révélateur des injustices d’un système. Bien que la comparaison ne se fonde ici que sur la coïncidence, on ne peut s’empêcher d’imaginer un parallèle avec le shutdown qui a frappé de plein fouet les fonctionnaires américains il y a quelques semaines. Si l’on s’imagine aisément Soderbergh s’identifier à Ray Burke, franc-tireur qui n’espère rien d’autre que s’affranchir d’un système entier, le monde des basketteurs est aussi ici un microcosme de la société américaine, ainsi qu’une métaphore de ses dysfonctionnements raciaux.

Jusqu’à son « semi-twist » assez finaud, le film se révèle d’une remarquable densité et d’une grande cohérence dans la filmographie de son auteur. Exigeant mais pas hermétique, plus Moneyball que White Men Can’t Jump, High Flying Bird ne s’envole paradoxalement jamais à la hauteur d’un dunk de Vince Carter, préférant rester sur des considérations plus terrestres. Pas clinquant, très clinique, et pour puristes : plus Duncan – Popovich que Showtime des Lakers. On ne dit pas qu’on tient là un nouveau MVP du genre, mais les fans de balle orange peuvent s’en convaincre : l’aventure méritait bien que Soderbergh retarde encore un peu plus sa retraite.

High Flying Bird de Steven Soderbergh, avec André Holland, Zazie Beetz, Zachary Quinto, Kyle MacLachlan, Bill Duke…, disponible sur Netflix depuis le 8 février.

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