4 Histoires Fantastiques : Contes d’hiver

On en parle encore et toujours, mais le sujet n’a jamais été autant d’actualité : le cinéma de genre français is not dead. Ce « film » qui sortira sur les écrans mi-février, au format assez atypique (il s’agit bien d’un enchaînement de quatre courts-métrages distincts), a enfoncé le clou une fois pour toutes puisqu’il a permis à quatre jeunes réalisateurs de faire une proposition de cinéma, une sorte de promesse pour un avenir plus fécond « dans le genre » en France. À l’origine du projet, le magazine SoFilm (ça tombe bien, leur dernier numéro est consacré au genre) qui a lancé, récemment, des résidences de création faisant suite à un plan en faveur des studios d’effets spéciaux organisés par le CNC l’année passée – et ces résidences, portées à la fois sur le long comme le court-métrage (en partenariat direct avec Canal+, Wild Bunch et Pictanovo), elles le disent clairement, ont pour ambition de « renouveler le cinéma de genre en France » et de « proposer des modes d’écriture innovants » à travers un processus collectif, faisant intervenir plusieurs acteurs (qu’ils soient scénaristes, musiciens ou techniciens d’effets spéciaux) dans un projet, porté par les quatre réalisateurs-lauréats (William Laboury, Steeve Calvo, Maël Le Mée, Just Philippot) des résidences « SoFilm de genre ».

Intéressants et ambitieux à leur manière

Si les courts-métrages sont diffusés en un seul film, les quatre ne se ressemblent aucunement et traitent chacun d’une vision particulière, comme un éventail des multiples directions qu’implique une notion, un mot (ici, le fantastique) lorsqu’il est traité par le prisme de plusieurs sensibilités et de plusieurs influences. Tous les cinéastes en herbe ont déjà leur parcours, certains avaient déjà réalisé plus de deux courts-métrages, d’autres ont des pratiques pluridisciplinaires. Après avoir vu ces 4 Histoires Fantastiques, le bilan est positif car les films forment un ensemble à la fois hétérogène dans la forme et homogène en termes de qualité, tous sont intéressants et ambitieux à leur manière, qu’ils remettent une figure mythique sur le devant de la scène (les zombies de Livraison) ou qu’ils abordent des thématiques originales (le voyage astral dans Chose Mentale). De même, les courts-métrages devaient nécessiter l’utilisation d’effets spéciaux et faire appel à un compositeur pour la bande-son (notamment le groupe The Penelopes pour Acide) — ici encore, les FX prennent une nature totalement différente pour chaque film, qu’ils soient numériques ou artisanaux, mais seront toujours utilisés avec parcimonie et précision.

Aurore, de Maël Le Mée

On aura beau dire, le cinéma de genre en particulier permet de s’attarder davantage sur la création d’ambiances sophistiquées, à la fois sonores et visuelles. 4 Histoires Fantastiques s’ouvre sur l’éthéré Chose Mentale puis poursuit avec l’aride Livraison, presque sans transition. Nous, on préfère légèrement Chose Mentale et Aurore car ces deux films sont peut-être les plus « fantastiques » par le fait qu’ils l’effleurent, le fantasment tout en l’opposant à un réel à la fois concret, intimiste mais plus instable, propre à des incertitudes et des zones troubles qu’on ne retrouvera pas ou peu dans les deux autres ; on est loin des grandes visions d’apocalypse proposées par Livraison et Acide, bien qu’elles soient tout à fait légitimes et réussies. Dans Chose Mentale, forme et fond se confondent dans un trip science-fictionnel et graphique, en mouvement constant tandis qu’Aurore ancre, à l’inverse, son récit dans le réel pour mieux le perturber, mettant en scène des phénomènes organiques inconnus et n’hésitant pas à s’aventurer dans une forme d’abstraction surprenante.

Ceci dit, les quatre films trouvent quelque part une délicatesse, au-delà de se contenter du spectaculaire, qu’elle soit cachée parmi un troupeau de morts-vivants ou dans le regard d’un enfant face à une catastrophe mortelle. En à peine vingt minutes chacune, ces quatre « visions » ont à la fois le temps d’élaborer un univers complexe puis de le resserrer, sur une famille en détresse (Acide) ou sur une jeune femme lors de ses premières expériences sexuelles. Dans le cas d’Aurore, il suffit d’une très courte séquence nocturne et onirique en guise d’introduction pour faire surgir une atmosphère, une étrangeté singulière, preuve que l’importance attribuée par SoFilm aux phases d’écriture aura porté ses fruits. Bien sûr ces formats courts de jeunes pousses du cinéma français ne sont pas dénués de maladresses, mais il serait idiot de les juger sur la base d’erreurs — qui sont d’ailleurs assez rares — alors même que 4 Histoires Fantastiques nous apparaît plutôt comme un laboratoire de recherche et d’opportunités. Ces expérimentations offrent en effet une visibilité peu commune à ce qui pourrait être (on l’espère) la relève du cinéma de genre en France, un renouveau incarné jusqu’alors par des figures féminines – on pense à Marina de Van, Lucile Hadzihalilovic ou, plus récemment, Julia Ducournau et Coralie Fargeat. En atteignant les salles (il sera notamment projeté hors compétition au Festival de Gérardmer), le film se reçoit donc comme un cadeau de Noël un peu en retard. Comme hors du système habituel, encourageant de jeunes talents à bousculer un paysage cinématographique qui, grand bien nous fasse, ne demande que ça.

4 Histoires Fantastiques, de William Laboury, Steeve Calvo, Maël Le Mée et Just Philippot. Avec Sophie Breyer, Didier Bourguignon, Manon Valentin, Maud Wyler. 1h22. Sortie le 14 février 2018.

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